Chapitre 1
Il y avait beaucoup de choses que Callie Panther méprisait. À commencer par son prénom : Calliope.
Quelle torture que de grandir avec un nom à la consonance aussi arrogante ! Son frère jumeau, lui, avait eu la chance d’hériter du nom de la première voiture de sa mère. Cooper était un prénom chic et sobre. C’est un père rigide, distingué et un peu trop gonflé d’orgueil qui a décidé du sien et c’est ainsi qu’elle a été prénommée, d’après la Muse de la poésie épique. Un raté, si on lui demandait son avis. Jusqu’à présent, elle n’avait été à l’origine que de quelques crises de colère et l’inspiration pour le nom d’un sandwich du restaurant à côté duquel elle a habité.
Elle méprisait également les gens qui mangeaient leur hotdog sans moutarde, mais avec de la mayonnaise. Les gens qui critiquaient sans arrêt, mais s’effondraient à la moindre remarque les concernant. Et chaque commentaire qui commençait par : « Je ne suis pas…, mais ».
Oui, elle méprisait beaucoup de choses, mais elle n’en haïssait que peu.
Les parents obnubilés par leur smartphone pendant que leur enfant jouait près d’un passage à niveau, par exemple. Les Smarties bruns qui faisaient semblant d’être plus sains que les autres.
Les flics racistes.
Mais elle ne haïssait rien autant que la presse.
Des sangsues qui mettaient leur nez dans les affaires des autres, qui dévoilaient des secrets en première page et qui propageaient des rumeurs à n’en plus finir. Des photographes avides qui envahissaient son intimité, qui traversaient les haies et escaladaient les murs pour une photo floue qui ferait scandale. Les journalistes, les pigistes à potins, les paparazzis, tous ces connards sans conscience qui détruisaient des vies avec des propos déformés et des photos nulles. Sans aucun remords.
Sa haine des gens qui possédaient un dictaphone et un appareil photo était ancrée très profondément. Elle prenait racine dans son histoire personnelle. Des racines qui avaient dicté toute sa vie, le temps de quelques années, mais elle était passée à autre chose. Elle en avait terminé. Elle était une nouvelle personne… Ce qui ne signifiait pas qu’elle renoncerait à chasser le prochain type qui dirait « Souris, Calliope » avec un harpon et à le balancer dans le port.
— Comment savez-vous que je suis ici ? siffla-t-elle, en remontant ses lunettes de soleil sur son nez et en baissant la visière de sa casquette sur son front. L’orage de flashs s’abattit sur elle, l’aveugla et lui donna la chair de poule. La dernière fois qu’elle avait autant éveillé l’attention remontait à douze ans… Et ce n’était pas un bon souvenir.
— Comment vous avez su que j’atterrissais aujourd’hui ? Je ne l’ai dit qu’à six personnes, merde !
— Je n’en ai aucune idée, marmonna Coop d’un air tendu, avant de l’attirer à lui pour la guider à travers la masse de caméras et de journalistes. Elle ne pensait pas souvent aux muscles de son frère, mais aujourd’hui, elle lui était reconnaissante de se nourrir exclusivement de boissons protéinées.
— Je te jure que s’il y en a encore un qui te met ses doigts dans la figure…
Callie soupira. Tel qu’elle le connaissait, il était déjà en train de calculer comment mettre trois journaleux à terre d’un seul coup de poing. Il avait le sang chaud et sa patience était plus que limitée. Callie ne voulait pas qu’il s’attire des problèmes par sa faute. C’est ce qu’il avait fait pendant la majeure partie de son adolescence et elle ne voulait pas revivre ce mode de fonctionnement.
Les photographes continuaient à crier, à lui réclamer des poses, des expressions faciales, des informations. Demandes qu’elle ignorait toutes.
— C’est bon, dit-elle en avançant vers la porte automatique qui s’ouvrit. Nous sommes presque arrivés à la voiture. Je me doutais que la presse allait faire tout un foin du retour de la fille prodigue.
Le vent frais du mois d’octobre soufflait dans sa direction, mordait sa chair et la faisait frissonner. Ou alors c’était simplement cet endroit qui lui faisait cet effet. Ce n’était pas la faute de Philadelphie si, pour Callie, elle représentait l’échec et la détresse. Deux sentiments auxquels elle ne s’identifiait plus depuis longtemps. Deux états d’esprit qu’elle avait laissés derrière elle… Auxquels elle ne souhaitait plus jamais être confrontée. Et malgré tout, elle était revenue.
Merde. Son père était fort. C’était typique. Même à 3 000 kilomètres, il parvenait à contrôler sa vie.
— Tu n’étais pas partie pour un pays éloigné, remarqua Coop en soufflant. Tu étais… En vacances.
Elle rit sans bruit.
— Pendant douze ans ? Dis donc, quelle vie fantastique je dois mener !
— C’est ça, confirma-t-il. Tu as une famille qui t’aime, un toit sur la tête et un rêve que tu réalises. Qu’est-ce que tu veux de plus ?
Callie réprima un tic. Elle enviait l’optimisme de Coop.
— Tu as raison. J’ai une famille envahissante, composée d’un père autoritaire, de trois frères hyper-protecteurs et d’une mère absente. J’ai un toit sur la tête et un rêve qui va probablement ruiner ma santé et mon compte en banque.
— Voilà l’état d’esprit positif que j’aime chez toi.
Elle éclata d’un rire sec. Oui… Parfois, elle aimerait ne pas avoir donné l’argent de son compte fiduciaire. Sa vie aurait été plus simple si elle avait tout simplement gardé les cinquante millions de dollars qu’elle avait touchés à ses vingt-cinq ans.
— C’est toi qui as trouvé ça malin de ne pas avoir de matelas financier, Callie. Coop semblait lire dans ses pensées. Je t’avais bien dit que tu le regretterais.
— Je sais, soupira-t-elle. Mais je voulais devoir travailler dur ! Me prouver que j’étais capable d’être indépendante.
— Et c’est ce que tu as fait. Sincères félicitations. Tu vas avoir encore combien de dettes avec ton projet ?
— Un million de dollars ? dit-elle en se mordillant la lèvre.
— Et tu pensais que cent mille dollars suffiraient pour une mauvaise passe ! rétorqua Coop en riant doucement.
Ils auraient suffi largement si elle n’avait pas eu besoin de donner un sens à sa vie avec ce projet qui lui tenait à cœur !
Mais Callie n’arrivait pas à se sentir coupable de tout ça. Pour la première fois de sa vie, quelque chose était important pour elle. Elle se sentait investie d’une mission. Pour la première fois en douze ans, elle avait un objectif qu’elle atteignait et qui la satisfaisait. Et si ça signifiait qu’elle devrait demander un crédit à son père et passer quelques mois à Philadelphie, eh bien, c’était comme ça et pas autrement.
— Callie, combien de temps allez-vous rester ?
— Que faites-vous ici, Callie ?
— C’est vrai que vous êtes ruinée ?
Bon sang, comment ces satanés journalistes avaient-ils eu ces informations ? Ils parvenaient à accéder à ses comptes bancaires ou quoi ?
— Pire que des chiens qui veulent ronger un os, marmonna Coop sombrement avant qu’ils ne parcourent ensemble les derniers mètres qui les séparaient de sa voiture, garée illégalement sur une zone de chargement devant l’aéroport. Le nom de Panther était un véritable répulsif à procès-verbal et amende de toutes sortes, ce qui se révélait très pratique.
Coop lui prit sa valise des mains, lui ouvrit la porte et fit un écran de son large dos entre elle et les journalistes pendant qu’elle montait dans la voiture.
Son cœur ne fit qu’un bond, elle serra sa main avant de se laisser tomber sur le siège passager. Coop la protégeait. Comme à six ans, quand il a raconté à leur père que c’était lui qui avait mangé de la glace au chocolat sur le canapé blanc. Comme à douze ans, quand il a donné une raclée à Timmy Robins parce qu’il avait voulu jeter un œil à la culotte de Callie. Et comme à quatorze ans, quand elle a fait les gros titres d’un tabloïd pour la première fois, complètement saoule, la tête dans la cuvette des toilettes. Coop avait massacré chaque personne qui ne faisait qu’évoquer cet article.
Il a toujours essayé de porter les combats de Callie à sa place. Après tout, il était son aîné de huit minutes, c’était sa mission. Elle savait à quel point le fait de ne pas avoir été là pour elle quand elle avait le plus besoin de lui, il y a douze ans, le rongeait encore. Mais ce n’était pas de sa faute. Il était à l’autre bout du pays et faisait ses propres expériences. C’était sa vie, et elle voulait en porter l’entière responsabilité. Avec le recul, cette minuscule crise de rien du tout était la meilleure chose qui lui est arrivée. Déménager à L.A. et tout reprendre à zéro était exactement ce dont elle a toujours eu besoin. C’est ce qui avait fait d’elle la personne qu’elle était aujourd’hui. Une personne qui n’était pas uniquement définie par son patronyme.
Coop ferma la portière derrière elle et les cris des journalistes n’étaient plus d’un bruit de fond diffus. Callie inspira profondément et ferma les yeux. Elle essaya de se persuader d’avoir pris la bonne décision en revenant. Que c’était intelligent d’abandonner sa confortable vie à Los Angeles, son foyer, ses amis et son restaurant italien préféré, pour faire face à son passé ! Elle se répétait que les journalistes se calmeraient. Qu’ils se rendraient vite compte à quel point elle était inintéressante. Son monologue prit des proportions incroyables alors qu’elle remerciait le ciel pour l’invention des vitres teintées.
Super. Une demi-heure à Philadelphie et déjà elle devait se masser les tempes pour soulager le mal de tête qui l’avait submergé quand elle était descendue de l’avion.
C’est une ville, Callie. Pas un crocodile impatient qui va t’arracher les mains.
Le volume sonore extérieur augmenta à nouveau pendant quelques secondes quand Coop ouvrit la portière du conducteur pour s’installer derrière le volant.
— On dirait presque que tu es la reine d’Angleterre qui a annoncé se lancer dans une carrière de gymnaste, bougonna-t-il en démarrant. Je me demande ce qu’en dirait la presse si elle savait que tu te mettais des bonbons nounours dans le nez jusqu’à tes sept ans.
— Eh ! C’est toi qui m’as donné ces bonbons ! rétorqua-t-elle.
Coop lui adressa un sourire moqueur avant de quitter la zone d’arrêt.
— Je voulais voir si tu arriverais vraiment à les expulser à deux mètres en éternuant. Tu ne peux pas me reprocher d’avoir été un enfant curieux et éveillé qui a souffert de ta mauvaise influence.
Elle soupira en riant. Qu’il lui avait manqué ! Ils s’étaient vus régulièrement au cours des douze dernières années — Coop était le seul de ses frères à qui elle avait donné son adresse —, mais ce n’était pas pareil.
Elle a toujours trouvé ridicule qu’on lui pose la question si elle sentait quand Coop allait mal. Après tout, ils devaient avoir un lien particulier en tant que jumeaux.
Mais non, elle ne saignait pas quand son frère saignait. Elle ne s’était jamais réveillée avec la sombre prémonition qu’il était arrivé malheur à Cooper non plus. Non, ils ne pouvaient pas communiquer télépathiquement, même si elle avait parfois eu l’impression d’avoir été amputée d’un membre, à L.A. Ou bien qu’il lui manquât la moitié de son cerveau.
Elle observa Coop par-dessus la console centrale pendant qu’ils roulaient sur l’autoroute. Malgré tous ses efforts, elle voyait toujours le petit garçon dégingandé qui, à dix ans, lui avait expliqué que c’était cool d’avoir un jumeau parce qu’on ne serait jamais seul.
Il était désormais tout sauf petit et dégingandé. Son addiction à l’adrénaline qui motivait sa pratique de l’escalade libre, du ski de pente raide et autres sports dangereux, avait fait des miracles sur sa musculature. Seuls ses cheveux noirs coupés ras et ses yeux bleus perçants, une caractéristique commune à toute la fratrie Panther, n’avaient pas changé.
Elle poussa un soupir.
— Je t’ai déjà dit que tu étais mon humain préféré, Coop ?
— Arrête, tu dis ça à tous tes frères, s’esclaffa-t-il.
— Oui, mais cette fois, c’est vrai.
— Non, répondit-il en secouant la tête. C’est Callum que tu préfères.
Elle sentit ses lèvres trembler. C’était vrai. Callum avait quelque chose de spécial. C’était assurément le membre de la famille au cœur le plus grand et le plus pur.
— Seulement parce que c’est lui qui me gonfle le moins, clarifia-t-elle.
— Parce qu’il est trop occupé à sauver le monde et à apaiser son cerveau hyperactif pour se mêler de tes oignons en plus.
— Oui, et toi, tu es assez stupide pour m’énerver. C’est de ta faute.
Coop poussa un gémissement théâtral.
— Ça ne signifie donc rien à tes yeux qu’on ait partagé la même chambre pendant neuf mois ?
— L’utérus de maman n’était pas une chambre. C’était un bouge sale et gluant. Et ce n’est pas comme si j’avais eu le choix. J’aurais bien aimé avoir la chambre à moi toute seule, mais têtu comme tu es, tu t’es agrippé à un ovule jusqu’à ce que je me résigne. Tu étais déjà un embryon kamikaze.
— Et trente-deux ans plus tard, nous revoilà à partager le même foyer. La boucle est bouclée.
Elle fit la grimace. La vérité était qu’elle n’avait pas les moyens de se prendre un appartement. Tout son argent était parti dans le paiement du terrain qu’elle avait acheté. La chambre d’ami de Cooper n’était pas son premier choix.
— En parlant de foyer, hésita-t-elle. Tu es sûr de bien vouloir de moi ? Je pourrais habiter chez Cal, il ne remarquerait probablement même pas ma présence.
— Conneries. Tu vas vivre avec moi. Cal risquerait de te faire sauter par erreur avec ses drones.
Ce serait bien possible.
— Bien… mais tu es sûr de pouvoir me supporter ? Tu vas devoir ralentir ton activité sexuelle.
Coop freina brusquement au feu rouge et la regarda, hébété.
— Quoi ? Mais pourquoi ?
— Parce que je suis là !
— Et alors ? Je peux aussi aller chez elle. Tu te poses trop de questions. Je n’ai pas besoin de grand-chose. Ça va être marrant.
Bon, s’il le dit. Callie aurait beaucoup de choses à faire de toute manière. Son premier rendez-vous était le lendemain matin et le surlendemain, elle visiterait enfin la maison sur laquelle elle avait jeté son dévolu pour son projet. Elle espérait qu’elle serait en meilleur état que ne le laissaient présager les photos.
— Ce n’est pas pour toujours, dit-elle en appuyant ses genoux contre le tableau de bord. Je ne resterais probablement que quelques mois à Philadelphie.
— Mmh, répondit Coop d’un air absent, ses lèvres réduites à une ligne.
Callie roula des yeux.
— Je vous ai prévenu dès le départ que ça ne serait pas pour toujours ! prévint-elle. J’ai une vie à Los Angeles, et si tout se passe comme prévu, j’ouvrirais encore des douzaines de nouveaux centres de jeunes. Celui-ci ne sera que le premier. Après, je retourne d’où je viens.
Coop souffla et lui lança un regard sombre.
— Si tu le dis, alors, c’est exactement ce qui va arriver.
Elle le regarda d’un air soupçonneux.
— Exactement. Cole peut prévoir ce qu’il veut, ça m’est égal et ça ne changera rien.
Leur frère aîné avait la mauvaise habitude de faire tout ce qui était en son pouvoir pour obtenir ce qu’il voulait. En tant qu’avocat et propriétaire des Delphies, l’équipe locale de baseball, ça semblait être une qualité. En tant que petite sœur qui ne veut pas se plier aux désirs de la famille, c’était horrible.
— Oui, oui, répondit Coop, insatisfait, alors que les gratte-ciels de Philadelphie apparaissaient à l’horizon. En parlant de Cole, il voulait organiser une fête de bienvenue pour toi.
Elle le fixa, choquée. Le dîner de famille du lendemain serait bien assez affreux comme ça !
— Tu lui as dit que ce n’était pas une bonne idée, n’est-ce pas ?
— Bien sûr que oui… mais ils t’attendent quand même chez moi.
Callie grimaça. Elle aimait beaucoup ses frères, c’est juste que…
— Mon Dieu, ils vont me poser plein de questions désagréables. Par exemple, comment je vais ou pourquoi je n’ai presque pas donné de nouvelles ces douze dernières années. Et Cal voudra savoir ce que j’ai fait de son foutu drone qu’il a lancé à mes trousses !
— Mais non ! dit Coop en secouant la tête. Ils sont juste très heureux de te voir. Rien de plus.
— Incroyable, la fille prodigue est revenue, remarqua Cole vingt minutes plus tard en la serrant dans ses bras. Comment tu vas ? Pourquoi tu ne nous as pas laissés te rendre visite plus souvent ? Je n’ai même pas pu t’envoyer de carte de vœux à Noël parce que tu n’as pas voulu me laisser d’adresse !
— Et mon drone ? voulut savoir Callum en la prenant dans ses bras à son tour.
— Vous vous en êtes servi pour m’espionner ! Le drone a eu ce qu’il méritait.
— Quoi ? Tu sais combien ça coûte, ces trucs ? Cal la regardait d’un air incrédule.
— Il vaut plus que mon intimité ? demanda-t-elle d’un air ingénu.
— Tu vas arrêter avec ton drone ? souffla Cole. Ce robot n’était pas ton enfant, quand même. Laisse Callie nous raconter comme elle va, plutôt.
Elle lança un regard empli de reproches à Coop.
— Oups, murmura celui-ci avant de s’éclipser vers la cuisine. Elle espérait que c’était pour lui apporter de l’alcool.
Elle savait que Cole et Cal étaient plein de bonnes intentions, mais au fil du temps, la question « Comment vas-tu ? » avait mué de la formule polie au besoin de contrôle soucieux au sein de sa famille.
— Je vais bien, répondit-elle en essayant de ne pas avoir l’air énervée. En fait, je ne suis jamais allée mieux.
Ce qui était la vérité.
Cole et Cal échangèrent un regard sceptique, mais acquiescèrent.
— C’est bien… de te l’entendre dire, dit Cole doucement en se grattant la tête.
— Oui, c’est vrai, confirma-t-elle. Et vous deux ? Est-ce que vous allez bien ?
Elle tira sa valise dans le salon et regarda rapidement autour d’elle. Coop n’était pas un grand amateur de couleur. Ça distrayait trop les femmes qu’il amenait chez lui. Il misait tout sur le gris et le noir, couleurs qui donnaient moins envie à ses conquêtes de discuter.
Un grand canapé en cuir et le fauteuil assorti dominaient la pièce. Quelques photos en noir et blanc de bâtiments à l’architecture impressionnante ornaient les murs. Mais aucune de ces photos n’était aussi grande que l’écran plat sur le mur, qui leur faisait face. Un babyfoot occupait un angle de la pièce, une cible de jeu de fléchettes en occupait un autre. Callie avait l’impression d’avoir fait irruption dans un film intitulé Le célibataire. Heureusement qu’elle était là et pourrait sauver Coop de lui-même.
— Je me débrouille, répondit Cal d’un air absent, le regard vissé sur son téléphone.
— Oui, moi aussi, confirma Cole.
— Vraiment ? demanda Callie d’un air curieux. Elle se saisit du téléphone de Cal — ça lui ferait du bien de communiquer avec des humains plutôt qu’avec des machines — et se laissa tomber sur le canapé.
— Tu as encore une copine, Cole ?
— Ne dis pas ça comme ça, grimaça-t-il en s’asseyant à côté d’elle.
— Comment ?
— Comme si j’avais enlevé une femme pour la forcer à me fréquenter.
Callie éclata de dire. Une vieille habitude.
— Désolée. Je reformule : comment va ta copine ?
— Bien, merci. Elle est au travail, mais se réjouit de faire ta connaissance demain soir, marmonna Cole. Et que j’aie une copine, ce n’est pas aussi bizarre que vous le prétendiez.
Si, ça l’était. La fratrie Panther partageait trois caractéristiques : les yeux bleus, les cheveux noirs et l’incapacité d’avoir une relation amoureuse saine.
Callie en rejetait la faute sur ses parents qui avaient fait du bon boulot en leur montrant comment une relation ne fonctionnait pas, et en n’expliquant jamais comment se comporter normalement dans l’intimité. Et que Cole, le roi de la mise à distance, ait rencontré quelqu’un avec qui il souhaitait partager sa vie était tout bonnement absurde. Mais aussi rassurant. Ça signifiait qu’il restait de l’espoir pour elle.
— Il a demandé à Savannah si elle voulait s’installer avec lui, remarqua Callum en souriant. Mais elle a dit non. C’est encore trop tôt. Elle ne veut pas qu’il ait des idées bizarres comme le mariage et les enfants. Elle n’est pas encore prête pour ça.
Cole le regarda d’un air incrédule :
— Comment tu sais tout ça ?
— Les femmes me parlent, Cole, répondit Callum avec un haussement d’épaules.
— Lesquelles ? Celles en plastique ?
— Et si on parlait de l’incapacité de Cole de convaincre Savannah de lui donner son cœur ? approuva Coop, qui revenait de la cuisine avec un pack de six bières.
— Mais m’a donné son cul, merci, répondit Cole sombrement.
Le visage de Callie se plissa :
— Dégoûtant.
— C’est Coop qui a choisi ce mot !
— Oui, et il est pire que toi. Le seul qui respecte les femmes, c’est Callum.
— Parce qu’il ne sort jamais et donc n’en rencontre pas, rétorqua Coop.
— J’en rencontre assez, dit Cal d’un air détendu. C’était très difficile de le faire perdre son calme.
— Celles sur World of Warcraft ne comptent pas, estima Coop en distribuant des bouteilles de bière.
— Dans quel siècle vis-tu ? Je joue à Fortnite, assena Cal.
— C’est un jeu pour les gamins, Cal.
— Non, passer ses journées à se jeter d’avions et escalader des murs comme tu le fais, ça, c’est pour les gamins, Coop. Et ce n’est pas parce que ton dernier rencard remonte à trois mois que tu dois passer ta frustration sur moi.
— Ça veut dire quoi, ça ? J’ai tout le temps des rencards !
— Draguer la serveuse de ton bar préféré et lui parler d’un nuage bizarre dans le ciel pendant deux minutes avant de la ramener chez toi, ce n’est pas un rencard. Google te le confirmera !
Coop marmonna quelque chose qui sonnait comme « Monsieur je sais tout » avant d’avaler une gorgée de sa bière.
Callie sentit un sourire se dessiner sur ses lèvres et une chaleur réconfortante l’envahir. Oui, ses frères étaient des abrutis. Mais c’était ses abrutis. Et il était évident qu’ils avaient besoin d’une influence féminine ! Elle saurait utiliser son temps ici à bon escient.
— Bon, maintenant que nous avons terminé la causette, nous pourrions en venir au fait et répondre à la question que nous nous posons tous ces dernières semaines ? annonça Cole en ouvrant sa bouteille avant de tendre le décapsuleur à Callie.
Les regards de Cal et Coop se posèrent automatiquement sur Callie avant de se poser sur leurs pieds, gênés.
Oh non. Elle avait un mauvais pressentiment et la chaleur qui l’avait envahie se transforma en papillonnements nerveux. — Quelle question ? hésita-t-elle. Si le chocolat, c’est mieux que les chips ?
Cole secoua la tête.
— Non, tout le monde sait que le chocolat gagne. Ce qu’on voulait savoir… pourquoi tu as emprunté de l’argent auprès de papa plutôt que de nous ? Ça aurait été moins stressant pour toi et nous ne t’aurions pas posé de conditions stupides. Et aussi, qu’est-ce que tu as foutu de ton propre fric ?
Callie soupira et se cacha quelques instants derrière sa bouteille de bière. Coop était le seul à qui elle avait raconté qu’elle avait fait don de son argent… Et Cole avait bien évidemment raison. Contrairement aux banques qu’elle avait démarchées, ils lui auraient tous donné de l’argent avec plaisir.
— Mon argent est… parti. Et je ne voulais pas abuser de votre confiance, expliqua-t-elle avec un haussement d’épaules. Ma relation avec papa ne peut guère empirer… mais vous… je ne veux pas avoir l’impression de vous devoir quelque chose, d’accord ?
De plus, ce n’était pas qu’une question d’argent. L’accord qu’elle avait conclu ne concernait pas seulement ce million de dollars, qu’elle rembourserait, bien sûr ! Elle avait aussi besoin d’investisseurs si le centre de jeunes devait fonctionner sur le long terme. De personnes qui feraient des dons tous les ans. Et pour cela, même si elle le regrettait, elle avait besoin d’une présence médiatique. Son père était un magnat des médias qui possédait une pléthore de chaînes télévisées, de journaux, et ce serait bête de sa part de ne pas en profiter. Même si, en principe, sa fierté le lui interdisait.
— D’accord, je comprends, s’impatienta Cole. Mais… Il hésita et lissa l’étiquette de sa bouteille. Callie, tu sais ce que tu fais ? Tu es sûre que tu ne vois pas trop grand ? Ce projet va être très ambitieux. Tu vas devoir t’occuper de beaucoup de chiffres.
— Ah bon ? répondit-elle sèchement. Heureusement que j’ai trouvé un Master en finance dans la poubelle et que je l’ai accroché au mur alors.
— Il ne s’agit pas du travail en soi, dit Coop. L’idée est géniale et c’est admirable de vouloir s’engager pour les jeunes à problèmes. Mais la presse va suivre chacun de tes faits et gestes. Elle va déterrer de vieilles histoires et les resservir au public. Elle attend depuis douze ans que tu reviennes. Nous ne voulons pas que tu… eh bien… Il s’interrompit et regarda Callum avec espoir.
Celui-ci fronça les sourcils, qui disparurent sous la monture de ses lunettes. Il hésita :
— Que tu te surmènes ?
Reconnaissant, Coop le pointa du doigt :
— C’est exactement ça.
Callie pinça les lèvres et les regarda, les uns après les autres.
— Que je sois sûre de comprendre, dit-elle lentement. Vous me prenez pour une brindille fragile qui va rompre sous la pression des journalistes, se droguer à nouveau, maigrir jusqu’à ne peser plus que cinquante-deux kilos et finir à l’hôpital. Comme la dernière fois. Il y a douze putains d’années.
— Je t’avais bien dit de ne pas en parler, chuchota Coop en direction de Cole.
— On n’a parlé de rien du tout, siffla-t-il. J’en ai parlé. Et on s’était mis d’accord qu’il fallait l’évoquer.
— Je suis juste là, Cole. Je vous entends ! s’énerva Callie. Vous pensez sérieusement que je ne sais pas dans quoi je me suis engagée ? Bon sang, ça faisait six mois qu’elle ne pensait à rien d’autre. Pourquoi croyaient-ils qu’elle n’avait cessé de repousser ce vol ?
Bien sûr qu’elle avait peur — non, elle était paniquée ! — de retomber dans ses vieux travers. Toute cette ville était un mauvais souvenir. On ne guérissait jamais d’un trouble du comportement alimentaire. On apprenait seulement à vivre avec. Et c’est ce qu’elle faisait jour après jour. Quant à la drogue… Elle n’avait jamais été accro. Le jour où elle a fini à l’hôpital était le premier et le dernier où elle a touché à la poudre parsemée d’étoiles. Même si personne ne la croyait. Ce qui l’avait poussée à en prendre ne se reproduirait pas de toute manière. Elle ne se faisait aucun souci pour ça. Par contre, elle craignait ce que la pression des journalistes lui ferait.
Certes, elle n’avait plus vingt ans, elle était devenue plus forte. Plus assurée que durant sa jeunesse. Elle connaissait ses forces et ses faiblesses. Mais elle savait aussi qu’elle avait eu besoin de trois ans de thérapie pour en arriver là.
Et pourtant elle ne laisserait pas cet incident dicter le reste de sa vie. Elle ne pouvait pas oublier ce qu’il lui était arrivé, mais elle pouvait essayer de vivre avec. Quand elle quitterait Philadelphie d’ici quelques mois, elle espérait avoir fait la paix avec la ville.
— Je sais que ce sera dur, s’agaça-t-elle, agrippée à sa bouteille de bière. Je sais que ça va demander des efforts. Je sais que ça va ouvrir des plaies anciennes et que les journalistes me mettront des bâtons dans les roues. Mais ce n’est pas une raison pour se rouler en boule dans un coin en pleurant ! Vous savez, au lieu de vous faire du souci pour moi, vous pourriez tout bêtement me soutenir. Je suis adulte maintenant. Je ne suis plus une enfant qui s’est entourée des mauvaises personnes et qui doit vivre avec les conséquences. Ce serait sympa que vous me fassiez un peu confiance.
— Mais nous te faisons confiance ! s’exclama Cole. Nous voulons t’aider. Nous savons que tu as changé. Vraiment.
— Non, ce n’est pas vrai ! Vous me sous-estimez. Vous me protégez là où je n’en ai pas besoin ! cria-t-elle. C’était toujours la même chose ! Ils voyaient encore la petite fille qui était si triste qu’elle avait arrêté de fonctionner correctement. La petite fille qu’ils n’avaient pu sauver, car ils s’étaient rendu compte trop tard de ce qu’il se passait. Cole secoua la tête.
— Callie, ton séjour à l’hôpital, ce n’était pas des vacances ! Tu étais en réanimation !
— Je sais, Cole ! se hérissa-t-elle. J’étais là ! Mais c’était il y a une éternité ! Je suis satisfaite de ma vie, de ce que j’ai accompli. J’en suis même fière ! Je suis une autre personne. Et elle prouvera à sa famille qu’elle atteindra tous ses objectifs.
Ses frères la regardèrent sans rien dire.
— Bien. Je vais vider ma valise, annonça-t-elle, désenchantée, en se levant.
— Callie, je t’en prie, soupira Coop qui se leva également. On t’aime, d’accord ? Tu nous as manqué. Tu t’es planquée à l’autre bout du pays pendant douze ans. Évidemment qu’on se pose des questions.
— Je ne me suis pas planquée ! J’ai construit ma vie, rétorqua-t-elle, agacée. J’ai étudié le management financier. J’ai étudié le travail social. J’ai passé les dix dernières années à étudier sans relâche afin d’aider les jeunes qui sont aussi perdus que moi à l’époque. De leur offrir un foyer pour la journée. Le centre de jeunes, ce n’est pas une lubie de ma part. C’est un objectif pour lequel je travaille d’arrache-pied. Et je sais que vous me pensez trop faible pour y arriver seule. Mais vous faites fausse route !
— Personne ne pense ça, Callie, répondit calmement Callum. Nous voulons juste que tu saches que nous sommes là pour toi. Peu importe quels problèmes tu devras affronter dans les mois à venir.
Callie ferma les yeux, acquiesça et inspira profondément.
— Les gars, j’apprécie ce que vous faites, d’accord ? dit-elle en s’efforçant de décrisper ses poings. Que tu m’héberges, Coop, que vous vous souciiez tous de moi. Que je vous ai manqué. Mais je dois faire ça seule. Elle s’étira. Et faites-vous à l’idée que vous ne savez pas ce qui est le mieux pour moi. Moi seule le sais. Et maintenant, je vais vider ma valise avant de vous mettre une raclée au babyfoot.
Elle sourit faiblement, serra Coop, qui avait encore l’air souffreteux, et disparue dans le petit couloir qui devait mener à la chambre d’amis.
À l’abri du regard de ses frères, elle s’arrêta et ferma les yeux. Elle se concentra quelques instants sur les battements de son cœur et sur son souffle.
Elle avait pris la bonne décision en venant. Coop avait raison. Elle s’était planquée à Los Angeles. Mais c’était terminé maintenant. Elle s’était attendue à ce que ce ne soit pas facile après tout.
Elle ouvrit les yeux et grimaça. Elle avait également espéré que ce ne soit pas aussi difficile…
Chapitre 2
James Galway a porté beaucoup de surnoms au cours de sa vie.
Pooky, Gigraffe, Sa Majesté des Couches, Drunken Sailor, Jamis, Gros bonnet, Rich-Bitch, Jocrisse, sans oublier, le Maître des Mots. Les années les avaient fait s’accumuler. Mais ces derniers temps, sa famille s’était mise d’accord sur Trouduc, et ça durait depuis déjà sept mois.
Est-ce qu’il aimait ce surnom ? Il était encore indécis. C’était mieux que Sa Majesté des Couches, mais moins bien que le Maître des Mots. Est-ce qu’il le méritait ? Possible. Mais pas forcément pour ce dont sa famille l’accusait.
En tant que journaliste, il était parfois amené à faire des choses considérées comme moralement répréhensibles par le dictionnaire. Mais globalement, il se donnait du mal à être un type raisonnable. Doté d’une imagination débordante, d’une tonne de possibilités, et d’un vocabulaire de gros mots inépuisable, il n’y parvenait pas toujours, mais il a toujours pensé, jusqu’à il y a quelques mois, qu’il irait au paradis.
Mais depuis la période « Jamie est un trouduc », il arrivait de moins en moins à y croire. Car le rôle que sa famille lui avait dévolu ces derniers temps le limitait dans certains domaines…
— Je suis chez Rusty et je révise, maman ! cria Thomas dans le combiné. Ce ne sont pas des bruits de moteur, c’est l’ordinateur qui fait beaucoup de bruit. Mince alors, tu deviens vraiment parano !
James lança un regard sceptique vers son neveu de quatorze ans et dû se rendre à l’évidence : il mentait bien mieux que ce à quoi il s’attendait.
— Oui, d’accord. Je vais manger ici, merci. À tout à l’heure. Thomas raccrocha, un large sourire lui barrant le visage. Tu vois ? Un jeu d’enfant.
James grimaça.
— Tu sais qu’à chaque fois que je viens te chercher sans l’accord de ta mère, j’ai l’impression d’être un kidnappeur ? marmonna-t-il en secouant la tête, alors qu’ils étaient arrêtés à un feu rouge. Son GPS lui indiquait qu’ils devraient être arrivés dans trois minutes, et à en juger par les grandes maisons coûteuses qui bordaient la route, il avait raison.
— Évidemment que maintenant, c’est ma mère, et non plus ta sœur, dit Thomas en roulant des yeux. Et techniquement, en effet, tu me kidnappes. Maman t’a interdit de me voir. Et tu me balances quand même dans ton coffre et tu me trimballes avec toi.
— Te trimballer ? Tu me supplies depuis des jours d’aller voir ce Marvel à la con avec toi.
— Qu’on va certainement rater, parce que tu dois de nouveau travailler.
— Une demi-heure, au maximum, promit James en tournant dans une voie à sens unique. Et après, on ira voir cet homme-fourmi qui fait des trucs illogiques.
— Tu dis toujours une demi-heure, et tu ne tiens jamais ta promesse, grogna Thomas.
C’était peut-être vrai, mais il ne pouvait absolument pas annuler ce rendez-vous. L’opportunité de travailler avec Calliope Panther ne se produisait qu’une fois tous les dix ans, et il ne comptait pas la rater. Tous ses collègues et concurrents se battaient pour obtenir un rendez-vous avec elle. Il en avait obtenu un qu’à force de promesses et d’acharnement, et mademoiselle Panther avait daigné lui répondre avec un email laconique d’une seule ligne.
Cinq minutes. Mardi, à seize heures.
Il n’avait jamais eu de message plus romantique.
— Comment va ta mère d’ailleurs ? demanda-t-il alors que son GPS signalait que sa destination se trouvait à trois cents mètres sur sa droite.
— Plutôt bien, répondit vaguement Thomas en haussant les épaules. Je crois que ça lui fait du bien d’être en colère contre toi et pas contre papa pour une fois.
C’est vrai que s’énerver contre cet abruti devait être éreintant.
— Je suis ravi de me montrer utile, dit-il brusquement.
Thomas sourit et lui tapa sur l’épaule.
— T’inquiète. Je crois qu’elle le hait encore plus que toi.
Génial. Alors, tous ses rêves s’étaient réalisés. Et on n’était même pas encore à Noël.
— Elle a dit la dernière fois qu’elle se sentait trahie, qu’elle ne voulait pas m’exposer à ton influence délétère et trompeuse. Il faudrait que tu souffres encore pendant un an au moins avant qu’elle ne songe à te pardonner.
James soupira lourdement avant de freiner un peu plus violemment que nécessaire et se gara le long de la route.
Il n’en attendait pas moins. Sa sœur avait toujours été rancunière. Quand elle avait six ans, elle ne lui avait pas adressé la parole pendant trois mois parce qu’il avait fait une crête à sa Barbie. Et ce qu’il avait fait cette fois-ci était un peu plus grave qu’une nouvelle coiffure sur une poupée. Néanmoins, il trouvait qu’elle exagérait. Elle avait tout à fait le droit de lui faire la tête, mais lui interdire de voir son neveu ? Le seul membre de la famille qui ne le haïssait pas en ce moment ? Son filleul ? Non, ça allait trop loin. C’est pourquoi il voyait Thomas en cachette depuis des mois. Comme Roméo et Juliette. Sauf que Thomas ne voulait pas d’amour, mais des places de cinéma, des jeux de société et des conseils de drague. Comme s’il était un expert. Il n’avait fréquenté qu’une seule femme et ce pendant sept ans. Il savait plein de choses sur cette femme-là, mais sur les autres ? Pas vraiment.
— Tu sais que je suis aussi en colère contre elle ? continua Thomas en tripotant son tee-shirt Pac-Man. Il était si maigrichon que même la taille S pendouillait autour de lui, comme un drap sur un squelette. Parce qu’elle est en colère contre toi et parce qu’elle me promet depuis un an de m’acheter ces nouvelles baskets, mais ne le fait pas. Je te jure que tous mes camarades de classe ont plus d’argent que moi. Tous ! Et je sais que papa ne paye pas ce qu’il devrait. Mais ça me gonfle.
— Hé, ta mère fait de son mieux, assura James d’un ton sérieux. On pouvait reprocher beaucoup de choses à Serena, mais pas qu’elle ne faisait pas tout ce qui était en son pouvoir pour son fils. Alors, arrête avec tes satanées baskets. Si elle avait l’argent, elle te les achèterait.
— Oui, je sais, ronchonna Thomas. C’est juste que… les autres n’ont pas besoin d’une raison de plus pour me… Il s’interrompit, devint rouge comme une tomate et regarda par la fenêtre. Bref.
Le cœur de James se serra. Nul besoin d’être un génie pour se rendre compte que Thomas était loin de correspondre à la définition de cool. Il était trop grand, trop maigre, il passait son temps devant des jeux vidéo et des films de superhéros et son film préféré était Pocahontas. Ce n’était pas simple d’être un adolescent. Mais une paire de nouvelles baskets n’y changerait pas grand-chose. Il devait survivre au lycée, tout irait mieux ensuite.
— Pourquoi tu ne me donnerais pas cet argent ? pensa Thomas, songeur, en lui jetant un regard de défi. Tu as de la thune ! Il avait bien essayé, mais s’il y avait une chose que sa sœur aimait encore moins que lui, c’était qu’on lui fasse l’aumône. Elle le remarquerait si Thomas rentrait avec de nouvelles chaussures. Il ne voulait pas courir le risque de ne vraiment pas le voir pendant un an. Il avait parfois l’impression que Thomas était son seul lien à la réalité.
On ne gagnait pas bien sa vie avec du journalisme respectable. Par contre, avec les potins… James n’en était pas fier, mais c’était la seule raison qui l’avait fait dévier dans cette voie il y a sept ans. Il en avait assez de se battre contre des moulins à vent. Mais parler de starlettes et de ceux qui aimeraient en être vous aspirait tout entier et réduisait tout lien avec la réalité à néant.
Parce qu’il était bon dans son domaine, son chef refusait de lui confier d’autres thèmes en dehors de ce sujet. Jusqu’à présent. Calliope Panther changerait la donne.
— Je t’ai acheté ce tee-shirt Pac-Man. Si je t’achète aussi des chaussures, la prochaine fois, tu me réclameras une voiture.
— Rouge, s’il te plaît, ironisa Thomas.
— Ah, statistiquement, la police arrête les voitures rouges plus souvent que les autres. Il secoua la tête en coupant le moteur. Je ne veux pas t’infliger ça.
— Ta voiture est rouge.
Effectivement, mais la police l’arrêtait souvent de toute manière. Elle n’aimait pas les conducteurs créatifs.
— Pas avant que tu n’aies seize ans, déclara-t-il avant de déboucler sa ceinture et d’ouvrir la portière. Thomas voulut l’imiter, mais James secoua la tête en dénégation.
— Pas question. Tu restes dans la voiture.
— Mec, je suis pas ton chien ! assena Thomas.
— Bien sûr que non. C’est pour ça que je laisse les fenêtres fermées , répondit James d’un ton léger avant de descendre.
Il verrouilla la voiture et enferma son neveu.
— Hé ! Qu’est-ce que tu fais ? La voix plaintive de Thomas était étouffée par la vitre.
James lui lança un sourire, avant de se tourner vers la maison devant laquelle il s’était garé. La dernière fois qu’il avait emmené Thomas avec lui lors d’une mission, l’adolescent l’avait suivi au bout de dix minutes et renversé un vase d’une valeur de mille dollars. Calliope Panther ne l’accueillerait pas à bras ouverts, c’est pourquoi il ne pouvait s’encombrer d’un gamin de quatorze ans qui risquait de saccager son logement. Il espérait que Thomas mettrait plus de temps à se rendre compte qu’il pouvait déverrouiller sa porte de l’intérieur cette fois-ci…
La demeure victorienne était divisée en quatre appartements et ceinte d’une clôture métallique opaque, pourvue d’un seul portail. Mademoiselle Panther était maline, de compliquer ainsi la tâche des paparazzis de faire des photos non autorisées.
James regarda sa montre, il était à l’heure, comme toujours, et appuya sur la sonnette à côté du nom Panther.
Mademoiselle Panther était rapide, on ne pouvait le nier. N’était-elle pas arrivée hier seulement ? Et déjà la sonnette portait son nom ?
Il entendit un grésillement, suivi d’une voix.
— Entrez. Si je trouve un dictaphone sur vous qui enregistre sans mon consentement, vous allez souhaiter porter un costume en polystyrène. Le grésillement cessa et le portail s’ouvrit.
James rit silencieusement et entra. C’était exactement comme il se l’était imaginé. Callie Panther le haïssait avant même de le rencontrer. Ce n’était pas nouveau pour lui, mais tout de même un peu dégrisant. La persuader de travailler avec lui sera plus dur que prévu.
Il suivit une allée de gravier, monta un escalier et s’arrêta devant une porte bleue, marquée au nom prestigieux de Panther. Elle s’ouvrit moins d’une seconde plus tard.
Il ouvrit la bouche pour se présenter, et aucun son n’en sortit quand il vit la femme qui se tenait devant lui.
What the …?
James savait à quoi ressemblait Calliope Panther. Tout le monde à Philadelphie le savait. Mais il avait gardé en mémoire la fille trop maigre qu’il avait photographiée il y a tant d’années, à ses débuts en tant que journaliste. La femme devant lui n’avait, à part ses grands yeux bleus, plus grand-chose en commun avec l’adolescente qui lui avait servi de tremplin professionnel à l’époque.
Merde, Calliope Panther était devenue adulte ! Et ça lui allait bien. Elle portait mieux la trentaine que la vingtaine. Elle n’était plus étique, elle avait l’air… En bonne santé. Des courbes comme il faut là où il faut. Sa peau était hâlée par le soleil californien, ses cheveux de jais chatouillaient ses épaules et son jean était serré aux bons endroits. C’est-à-dire partout.
— Salut, sourit-elle froidement. Vous devez être le virus qui a fait planter ma boîte mail.
Peut-être qu’il avait un peu exagéré avec ses mails. Mais c’était son acharnement qui l’avait fait devenir un excellent journaliste. Rien ne pouvait le détourner de son objectif. Il irait au bout du monde s’il le fallait. James n’avait jamais été facilement satisfait. C’était ce qui le différenciait du reste de sa famille. Et c’était ça que ni ses parents ni ses frères et sœurs avaient compris.
Sa famille avait seulement besoin de nourriture sur la table, d’une émission de télé-réalité à la télé et ils étaient satisfaits. Ça ne les dérangeait pas de travailler pendant quarante ans pour la même entreprise en bâtiment et de passer leur vie entière dans la même ville et le même quartier.
Lana aussi était comme ça. Une vie calme dans une maison à la clôture blanche, juste à côté de celle de celle de ses parents, deux enfants et des vacances dans le Maine par-ci par-là. C’est tout ce qu’elle demandait.
Et c’était pour le mieux. Aspirer à une vie tranquille, entourée de choses qu’on connaît, n’était pas un crime. Mais ce n’était pas une vie faite pour lui.
Il avait toujours voulu plus. Plus de connaissances, plus de changements, plus de profondeur, plus d’expériences, plus de défis. Il ne voulait pas rester en surface dans ses articles, comme le lui demandait son supérieur. Il voulait comprendre ce qu’il voyait et ce sur quoi il écrivait. Il ne voulait pas juste le devant de la scène. Il voulait toutes les coulisses avec. Alors il creusait jusqu’à trouver du pétrole.
— Salut, répondit-il affablement et lui tendit la main. Je réponds plutôt à James Galway, mais si vous voulez en rester à Virus, pas de souci. J’ai l’habitude des surnoms.
Calliope serra fermement sa main, ce qui le surprit, tout en l’observant avec méfiance. Elle le regarda des pieds à la tête, lentement, centimètre par centimètre, comme si elle cherchait quelque chose.
— Est-ce que je dois me déshabiller ? Ce sera plus facile pour vous de trouver des objets illicites, demanda-t-il innocemment.
Le regard de Calliope remonta brusquement vers son visage, avant de redescendre vers son torse. Elle fronça les sourcils pensivement.
— Vous êtes prêt à vous déshabiller devant tout le voisinage rien que pour me parler plus rapidement ?
— Je n’ai aucun problème avec mon corps, annonça-t-il sans mentir.
— On le voit à votre chemise. Mais non. Vous pouvez garder votre pantalon. Ce serait déplacé.
— Aussi déplacé que de penser que je suis ici simplement pour vous causer du tort ?
Elle soupira et croisa les bras.
— Ne le prenez pas pour vous, monsieur Galway, mais je déteste les journalistes à potins. De tout mon cœur. Et non sans raison. C’est à moi de décider ce qui est déplacé et ce qui ne l’est pas.
— Je suis ici pour vous aider, clarifia-t-il en levant les mains. Pas pour m’occuper de votre linge sale.
— Évidemment. Votre objectif est louable. C’est l’empathie, la générosité et un cœur pur qui vous ont mené ici aujourd’hui. Elle se détourna rapidement et alla dans la cuisine à sa gauche. James sentit sa bouche se contracter avant d’entrer et de refermer la porte derrière lui.
La cuisine semblait tout droit sortie d’un film en noir et blanc. Le granit et l’acier brossé se combinaient en des angles durs et des lignes claires. Cette cuisine avait l’air… Masculine. Et quand mademoiselle Panther dut ouvrir trois placards pour trouver deux verres, James pensa que ce n’était peut-être pas son appartement. L’étiquette à côté de la sonnette pouvait désigner un autre membre du clan Panther.
Calliope remplit les verres d’eau, les posa sur la table de la cuisine noire au milieu de la pièce, et désigna une chaise avant de s’installer en face de lui.
— Monsieur Galway, commença-t-elle, une pointe d’impatience dissimulée dans la voix, je vous ai promis cinq minutes et vous aurez cinq minutes.
— Appelez-moi James, dit-il en s’installant. Elle plissa les yeux.
— Bien. Même si ça me donne l’impression d’appeler mon majordome. Je suis Callie. Pourquoi rester polis quand vous êtes en train d’écrire le premier gros titre à mon sujet dans votre tête.
Allons donc, il avait son gros titre depuis une semaine déjà. Le prenait-elle pour un débutant ? Il posa les mains sur la table.
— Merci. En fait, je suis ici simplement pour par…
— Permettez-moi de vous interrompre. Je ne souhaite parler ni de moi ni de mon passé. Ce n’est absolument pas la raison pour laquelle j’ai accepté cet entretien. Il ne s’agit pas de moi, mais de mon projet.
Bon, ça compliquait l’affaire. Mademoiselle Panther ne semblait pas consciente que ses velléités caritatives n’intéressaient absolument personne. Une petite fille riche qui veut faire le bien ? Allons donc ! On trouvait des histoires pareilles déjà dans la Bible. Bien entendu, il ne pouvait le lui dire comme ça. C’est pourquoi James décida de changer son fusil d’épaule.
— Vous voulez ouvrir un centre de jeunes, annonça-t-il posément. Calliope haussa les sourcils.
— Comment savez-vous cela ?
— J’ai fait mes devoirs, Calliope.
Elle se renfrogna.
— Callie, s’il vous plaît. Personne à part mon père n’utilise Calliope.
Il ne voulait pas vraiment être comparé à lui. Ni professionnellement ni humainement.
— Bien. Callie. Vous souhaitez ouvrir un centre de jeunes et avez besoin d’investisseurs. Et pour trouver des investisseurs, vous avez besoin d’une présence médiatique. Je peux vous donner cette présence.
— Oui, comme chaque journaliste de cette ville.
Il secoua la tête.
— Non, personne ne vous offrira ce que je vous propose.
— Votre corps et un paquet de chamallows ?
Il eut un rictus.
— J’aime votre façon de penser, mais non. Vous voulez que la presse parle de votre projet… alors que le projet, c’est vous, Callie. Que vous vouliez aider les jeunes, ça n’intéresse pas les gens. Qui aime lire des articles sur des jeunes qui n’ont rien ? C’est déprimant.
— Mais c’est la vérité !
— Oui, mais la vérité se vend mal, expliqua-t-il. Vous êtes bien placée pour le savoir. Les gens veulent apprendre des choses sur vous. Ils veulent ressentir quelque chose pour vous. Pas avec des adolescents anonymes avec qui ils ne ressentent aucun lien. La seule chose qui intéresse la presse, c’est vous. Ce qui n’est pas mal. Car vous pouvez vous en servir.
— En signant un pacte avec le diable ?
— Je ne dirais pas que la presse est le diable.
— Je ne parle pas de la presse, je parle de vous, clarifia-t-elle en reculant dans la chaise, ses yeux bleus réduits à deux fentes. Vous croyez être le seul à avoir fait ses devoirs ? J’ai fait des recherches sur vous. Vous êtes un requin.
— Merci beaucoup, sourit-il.
— Ce n’était pas un compliment.
— Pour moi, ça l’est, assura-t-il.
— Vous avez harcelé Hugh Hefner jusqu’à ce qu’il vous invite dans sa grotte, rétorqua-t-elle.
— Harceler, c’est un peu trop fort. J’ai tout bonnement posé la question, poliment, plusieurs fois.
— Moui, et maintenant, il est mort.
— Ça, ça n’est pas de mon fait. Il éclata de rire.
— En ce moment, trois personnes disposent d’une ordonnance de protection à votre encontre…
— Parce qu’ils ne sont pas d’accord avec mon avis sur leur vie.
— Vous avez été viré du journal universitaire de Princeton parce que vous avez rédigé un article de révélations sur le rédacteur en chef, et la moitié de la ville a porté plainte au moins une fois contre vous.
— On se fait des ennemis à la longue, quand on est à la recherche de la vérité.
— La couleur des sous-vêtements d’Emma Stone est la vérité ?
— Admettons, pas une vérité passionnante, mais quand même. Je connais mon CV, Callie, déclara-t-il sobrement.
— Vous n’êtes pas digne de confiance, James, s’énerva-t-elle.
— Bien sûr que non. Je n’ai jamais prétendu l’être. Je ne suis pas un personnage du Manège enchanté. Mais je suis votre meilleure option. Parce que tous les incidents que vous avez découverts pendant vos recherches démontrent une chose, je suis vachement bon dans ce que je fais. Et vous le savez, sinon, nous n’auriez pas accepté cet entretien.
— J’étais curieuse, dit-elle avec un haussement d’épaules. Vous aviez l’air désespéré dans vos mails. Et la phrase : vous l’ignorez encore, mais vous avez besoin de moi, me fait toujours réagir. Alors, surprenez-moi. Que pouvez-vous m’offrir que les autres n’aient pas ? Qu’espérez-vous de moi ?
— Je veux publier une série d’articles à votre sujet.
— Un journaliste qui veut publier des choses sur moi. Innovant.
— Je sais. Et je veux les droits exclusifs. Vous ne parlerez à aucun autre journaliste à part moi.
— Pourquoi vous sonnez subitement comme un mari jaloux ? voulut-elle savoir.
Il eut un large sourire.
— Parce que c’est exactement ce que je serais. Le mari qui vous accompagne où que vous alliez. Qui mettra en lumière votre cheminement jusqu’à l’ouverture du centre.
Callie soupira, sa poitrine monta et descendit au rythme de sa lente respiration.
— Résumons : vous voulez écrire une histoire à mon sujet, comme tous les autres.
— Bien entendu que je veux écrire quelque chose à votre sujet ! insista James en se penchant vers elle. Vous êtes intéressante. Vous avec du charisme. Vous avez une histoire. Et avez-vous une idée de combien un seul article sur vous va m’apporter de pognon ?
— Si vous voulez me persuader de vos bonnes intentions, vous vous y prenez vraiment mal, vous vous en rendez compte ? répliqua Callie en fronçant les sourcils.
— Vous êtes bien et vous allez nous aider tous les deux. Réfléchissez-y. Quelqu’un va écrire quelque chose à votre propos, que vous le vouliez ou non. Le premier article est probablement déjà publié. Vous n’avez aucune influence sur ce qui y est dit. Je vous donne l’opportunité d’en avoir. Il tapota la table de l’index pour souligner son propos. Je vous accompagnerai partout. Je couvrirais chaque étape de votre projet et je lui donnerais une note personnelle que les gens voudront lire. Je donnerais l’impression aux lecteurs que vous êtes leur meilleure amie à qui ils adoreraient donner de l’argent, tandis que vous aurez le contrôle total sur tout ce que je publie. Vous me direz quand vous n’aimez pas une métaphore ou si l’article est trop personnel. Vous lirez chaque mot et aurez un droit de véto sur chaque article. Nous consignerons cet accord par écrit. J’aurais l’exclusivité sur vous, sous vos conditions.
James remarqua l’instant où le rejet initial se transforma en intérêt. C’était l’instant où la tension quitta les sourcils de Callie, quand elle se redressa dans son siège et que sa bouche s’entrouvrit.
Oui, elle savait reconnaître une bonne proposition.
Elle se tut quelques instants. Elle était assise calmement et l’étudiait avec intérêt. Peut-être qu’elle cherchait la faille… Son portable retentit et James sursauta.
Il le sortit de sa poche à regret et vit le nom s’afficher sur l’écran. Thomas.
— Vous ne décrochez pas ? Callie le regardait en haussant les sourcils.
James secoua la tête et refusa l’appel avant de remettre le téléphone dans sa poche.
— Non, ce n’est que mon neveu qui est enfermé dans ma voiture.
— Charmant.
— Vous ne le connaissez pas. C’est mérité, lui assura le journaliste.
— Bien. Elle s’éclaircit la voix. Vous avez vos cinq minutes. Si c’est tout…
— Non, ce n’est pas tout, l’interrompit-il. Je veux aussi que vous me donniez une interview. Exclusive. Où vous parlez de votre passé, de votre présent et de votre futur.
— Une licorne et une ferme à autruches avec ça ? rit Callie.
— Je peux me passer de la ferme, mais une licorne ? Ça ne serait pas de refus.
— Je ne donne pas d’interviews. Je ne l’ai jamais fait, assena-t-elle.
— Je sais. Justement. Une interview vous donnera du poids. Ça pourrait être décisif pour les investisseurs. Ils verront si vous avez l’air sympathique, démunie, forte ou fragile.
Callie s’assombrit et elle se leva brusquement.
— Vous allez devoir renoncer à votre interview magique. Quant au reste… je vais y réfléchir.
Merde. Quand les gens commencent à réfléchir, ils en viennent généralement à la conclusion qu’il n’était pas digne de confiance. Mais il pouvait voir qu’elle ne trancherait pas tout de suite. Elle devait peser le pour et le contre. Il devait compter sur le fait d’avoir piqué son intérêt.
Il inspira profondément et se leva à son tour.
— D’accord, répondit-il aimablement. Merci de m’avoir accordé votre temps. Il tendit sa main à Callie qui la saisit consciencieusement. Voici ma carte. Mon numéro de portable personnel est inscrit au verso. Il lui tendit sa carte qu’elle empocha.
— Bien. Je vous contacterai, dit-elle d’un ton léger en le raccompagnant vers la porte. Ça signifie plus de mails relou, d’accord ?
— Vous pouvez en penser ce que vous voulez, ils ont fonctionné, marmonna James en riant doucement avant de descendre les marches. Il sentait le regard de la jeune femme dans son dos et il souriait sous cape. Si elle acceptait, plus jamais il n’aurait à accepter de mission de son supérieur. Il aurait carte blanche, ce serait une des conditions écrites pour ne pas qu’il vende ses articles à un autre journal. Plus jamais de pseudo starlettes à interviewer, plus de fêtes nulles à visiter. Il écrirait sur ce qu’il voudrait. Il ferait des portraits de gens importants qui faisaient bouger les choses. Des portraits qui donneraient au lecteur l’impression de les connaître.
Il ouvrit le portail. Elle devait accepter… Et il creuserait jusqu’à trouver du pétrole. Comme à l’époque.