Lire un extrait La Mercenaire

Chapitre 1

Le commissaire divisionnaire pressa le bouton d'enregistrement du dictaphone posé sur la table.

— Je suis le commissaire Hecker. Nous sommes le 30 novembre 2024. Avec moi dans la pièce se trouve l'agent Omar Sharif-Holbrook. La personne interrogée est Rebecca Williams, née le 11 mai 1992, soupçonnée d'appartenance à une organisation criminelle, de complot visant à perpétrer des crimes graves et d'entrave à l'enquête. Je vous informe que vous avez le droit de garder le silence et de recourir à un avocat.

Omar dévisagea Rebecca, curieux de voir si elle accepterait de répondre à l’interrogatoire ou garderait le silence, s'en remettant à son avocat pour trouver une parade aux sérieux ennuis dans lesquels elle s'était fourrée.

Rebecca soutint son regard. De son œil non tuméfié, elle le toisa un instant avant de se tourner vers le commissaire.

— Si je comprends bien, j'ai le droit de passer un coup de fil ?

Sa voix était saccadée, pâteuse, comme déformée par l'alcool. S'était-elle droguée avant d'affronter Tony Bricks ? Il était clair qu'elle avait eu accès à des substances illicites.

— Connaissez-vous le numéro par cœur ? demanda Omar en lui tendant le téléphone posé sur la table, un vieil appareil dont le combiné était relié à la base par un fil.

Elle se contenta d'un hochement de tête et composa le numéro. Son index trembla légèrement en appuyant les chiffres. Quelques secondes plus tard, Omar l'entendit déclarer :

— Oui, c'est moi. C'est l'heure. Oui, Scotland Yard. OK.

Puis elle raccrocha.

— On dirait que vous vous attendiez à ce qu'on vous démasque, fit observer Hecker.

Rebecca s'affaissa sur le dossier de la chaise et repoussa de son front une mèche rousse collée par du sang séché. Un sourire étira les coins de sa bouche, vite remplacé par une grimace de douleur.

— Dès que mon avocat sera là, vous le regretterez.

Du coin de l'œil, Omar vit le commissaire réprimer un sourire.

— Bravo ! lança celui-ci. Vous avez du cran... Et vous avez éveillé ma curiosité. Je serais ravi de savoir comment vous allez vous sortir de ce guêpier. Les preuves qui vous accablent sont légion. Sans compter que nous pouvons témoigner vous avoir entendue reconnaître que vous bossez pour Tony Bricks.

D'un geste de la main, Rebecca balaya l'argument.

— Croyez-moi, les apparences sont souvent trompeuses.

— Permettez-moi une question, intervint Omar.

Elle pivota vers lui. Il s'efforça de ne pas regarder la partie tuméfiée de son visage.

— Vous souvenez-vous de notre première rencontre ?

Elle acquiesça et, cette fois, un semblant de sourire flotta sur ses lèvres gercées.

— Bien sûr. Vous m'avez fait forte impression.

— Regrettez-vous votre décision de l'époque ? demanda Omar.

Après un long regard, elle secoua la tête.

— Non. Regardez-moi. J'avais raison. Cent fois raison.

Chapitre 2

6 mois plus tôt

— Bonjour à tous ! lança le commissaire divisionnaire Laurel d'une voix tonitruante qui fit sursauter Rebecca Williams.

Celle-ci réprima un bâillement, plissa les yeux avant de les écarquiller, espérant rester plus en éveil.

— Je vous souhaite la bienvenue en ce troisième et dernier jour des sélections pour le programme de formation des officiers de police de haut rang de la Police Métropolitaine, poursuivit Laurel. Aujourd'hui, une dernière épreuve vous attend avant que nous délibérions pour décider qui parmi vous correspond le mieux à nos critères.

Il adressa un signe de tête à Rebecca. Elle balaya du regard les cinq candidats et les trois candidates. Seuls deux d'entre eux décrocheraient une des places convoitées de stagiaire. Ils avaient déjà passé de longs entretiens approfondis, des tests d'intelligence et de personnalité ainsi que des mises en situation ardues destinées à évaluer leur capacité à réagir avec souplesse face à des problèmes inattendus.

— L'ultime défi que vous devrez relever est un jeu de rôle, annonça-t-elle.

Rebecca fut impressionnée de ne pas entendre les candidats gémir ou lever les yeux au ciel. Les jeux de rôle comptaient parmi les exercices les moins appréciés des centres d’évaluation, mais correctement menés, ils permettaient efficacement de distinguer les bons profils des mauvais.

— Mettez-vous en demi-cercle, ordonna Rebecca.

Les crissements de huit chaises traînées sur le sol en béton lui firent grincer des dents. Elle fit signe à l'inspecteur Capaldi de la rejoindre. Il portait un jean de marque, plus troué que couvert de tissu et une chemise d'un blanc immaculé dont les manches retroussées dévoilaient ses avant-bras musclés.

— Je vous présente Steve Elwood, annonça Rebecca. Steve est un dealer de drogue. Pas de l'herbe ou de l'ecstasy, mais de la bonne came. Il est spécialisé dans la cocaïne et le LSD de haute qualité. Mais méfiez-vous, Steve est pointilleux sur le choix de ses clients. Votre mission consiste à le convaincre de faire affaire avec vous. À vous de voir comment vous vous y prenez. Agent Marston, on commence par vous.

Elle fit un signe de tête au candidat assis à l'extrémité gauche du demi-cercle. Grand et mince, il arborait une moustache soignée sur son visage anguleux. Ses yeux marrons scrutèrent attentivement l'inspecteur Capaldi alias Steve Elwood. C'est avec le même regard perçant qu'il avait jaugé Rebecca quand elle lui avait fait passer un test d'intelligence. Avec un QI de 124, il était nettement au-dessus de la moyenne. Mais les scores des tests de personnalité étaient aussi extrêmes, en particulier le faible résultat sur l'échelle d'agréabilité qui indiquait que Marston était plutôt du genre pénible. Rebecca était curieuse de voir comment il s'en sortirait dans une situation exigeant beaucoup d'empathie et de psychologie.

Le candidat s'avança vers Steve Elwood.

— Bonsoir, dit-il en se plantant à côté du dealer avant de sortir un paquet de cigarettes de la poche de sa chemise.

Il en proposa une à son interlocuteur qui déclina poliment. Marston s'en alluma une, tira une longue bouffée et souffla lentement la fumée par les narines. Savourait-il le fait de braver l'interdiction de fumer dans les lieux publics ? Rebecca nota cette interrogation sur sa feuille d'observation.

— J'ai beaucoup entendu parler de vous, déclara Marston à Elwood.

Celui-ci haussa un sourcil en exagérant le geste, le rendant involontairement comique. Rebecca pinça les lèvres. C'était le problème avec les acteurs amateurs : ils avaient tendance à en faire trop. Hélas, les sélections ne revêtaient pas une importance suffisante aux yeux de la Police Métropolitaine pour qu'elle engage des pros.

— En bien j'espère, répliqua Elwood.

Marston esquissa un sourire en coin.

— Il paraît que je suis à la bonne adresse pour dégoter une came d'enfer.

Rebecca leva son bloc et griffonna frénétiquement des notes. Le candidat optait pour la méthode directe. Il allait vite buter sur des obstacles.

— Qu'est-ce qui vous le fait dire ? interrogea Elwood.

— Pas la peine de jouer au plus fin avec moi. Vous avez ce que je veux et j'ai du cash. Beaucoup de cash. On devrait pouvoir s'arranger.

Elwood fit un pas de côté et le jaugea des pieds à la tête.

— Même si vous n'avez pas l'air de quelqu'un qui roule sur l'or... Vous pouvez me dire ce que j'aurais qui vous intéresse à ce point ? Parce que là, je ne vois vraiment pas de quoi vous parlez.

Le sourire de Marston s'effaça. Les choses devenaient intéressantes. Voilà l'obstacle. Allait-il changer de stratégie ?

— OK, parlons cash alors, trancha-t-il. J'ai mille livres que je veux investir dans de la cocaïne pure.

Cette fois, ce fut au tour d'Elwood de sourire en coin.

— Mille livres ? Je croyais que vous aviez parlé d'une grosse somme ? Je ne me salis pas les mains pour si peu.

Des plaques d'un rouge sombre apparurent sur les joues de Marston. Sa poitrine se soulevait plus vite qu'auparavant. Une réaction émotionnelle. Parviendrait-il à la maîtriser ? Le candidat respirait lourdement et sa main droite tremblait légèrement. Il ouvrait la bouche quand une clochette retentit.

— Le temps est écoulé, annonça le commissaire divisionnaire Laurel.

— Mais je n'avais pas fini, protesta Marston.

— Nous en avons assez vu, rétorqua Laurel. Au suivant.

Marston laissa tomber sa cigarette à moitié consumée par terre et l'écrasa. Puis il regagna sa place, croisant les bras sur sa poitrine en foudroyant le commissaire du regard. Son voisin se leva. Il faisait bien une tête de moins que lui et son visage rond respirait la fraîcheur de la jeunesse. En revanche, sa moustache d'un noir brillant était plus grande et impressionnante que celle de son prédécesseur.

— Agent Sharif-Holbrook, annonça Rebecca. Votre mission consiste également à convaincre Steve Elwood de vous vendre de la drogue.

Elle remarqua que la pomme d'Adam du candidat montait et descendait nerveusement. Il fit tourner les pointes de sa moustache entre ses doigts et s'avança vers le faux dealer. Pendant les quelques pas qu'il fit, sa posture changea du tout au tout. Il mit les mains dans ses poches et se balança au rythme d'un air qu'il fredonnait. Rebecca connaissait la mélodie mais impossible de se rappeler le titre de la chanson.

Comme Marston avant lui, Sharif-Holbrook se posta à côté du dealer. Mais il ne lui adressa pas la parole tout de suite, continuant de fredonner gaiement. Qu'est-ce que c'était que cette chanson ? Rebecca enrageait de ne pas s'en souvenir.

— Qu'est-ce que vous chantonnez ? demanda Elwood, qui semblait lui aussi intrigué.

— Oh, juste un truc des Beatles.

— Lucy in the Sky with Diamonds, précisa Elwood.

— Ah, un connaisseur, commenta Sharif-Holbrook.

Le dealer acquiesça.

— Ça c'était de la musique.

— À qui le dites-vous. Des chansons d’une telle qualité, on n'en fera plus jamais.

— Oasis n'était pas loin pourtant, objecta Elwood.

Sharif-Holbrook fit la moue.

— Vous n'êtes pas sérieux ? Les Gallagher avaient beau prétendre rivaliser avec Lennon et McCartney, ils n'ont jamais approché leur niveau. L'alcool leur barrait toujours la route.

Elwood haussa les épaules.

— Les Beatles n'avaient pas ce problème.

— Ils s’enivraient autrement. Savez-vous que Lucy in the Sky with Diamonds évoque une expérience sous le LSD?

— Est-ce vrai ? s'étonna Elwood.

— Oui, enfin c'est ce qui se murmure. Hélas, on ne peut en demander confirmation à John Lennon. Ce doit être un sacré délire d’avoir fait une telle expérience, pour accoucher d'une chanson aussi géniale.

Rebecca prenait frénétiquement des notes. Le candidat s'y prenait avec malice. Il était entré en contact mine de rien en entraînant le dealer dans une discussion dont le sujet anodin avait d'abord éveillé son intérêt. Maintenant, il orientait l'échange vers le véritable but de leur rencontre.

— Vous avez déjà pris du LSD ? s'enquit Elwood.

Sharif-Holbrook leva la main.

— Non, je n'oserais jamais. Certains voyages sous LSD peuvent déraper et avoir des conséquences tragiques. Regardez Syd Barret, l'ex-chanteur de Pink Floyd.

Elwood secoua la tête.

— Il avait de plus gros problèmes qu'un mauvais voyage sous LSD qui a dérapé. Il suffit de prendre la bonne came, c'est aussi sûr qu'un verre de vin rouge espagnol. J'ai lu que des psychiatres utilisent le LSD pour traiter la dépression. Je comprends totalement.

Rebecca réprima un sourire. Elle nota avec satisfaction que le candidat était parvenu à inverser les rôles. Ce n'était plus lui qui devait supplier le dealer de lui vendre de la drogue.

C'est le dealer qui faisait la promotion de sa marchandise. La clochette sonna à nouveau.

— Terminé, déclara le commissaire Laurel. Au suivant.

Aucun des six autres candidats ne réussit à convaincre l'acteur amateur d'accepter une transaction précise. Mais là n'était pas la question.

Quand la dernière candidate eut fini son jeu de rôle, le commissaire Laurel déclara :

— Vous pouvez maintenant retourner dans la salle d'attente. Nous allons délibérer et vous convoquerons individuellement pour vous informer si vous intégrez ou non le programme de formation.

Les chaises raclèrent à nouveau le sol mais cette fois, Rebecca était suffisamment réveillée pour que le crissement lui agresse moins les tympans. Elle saisit son bloc-notes et suivit le commissaire Laurel dans la salle de réunion.

Chapitre 3

La fumée de la cigarette chatouillait les sinus d'Omar. Il s'éclaircit la gorge et se pinça l'arête du nez pour réprimer un éternuement.

— C'est une mascarade, grogna Marston en tirant si fort sur sa cigarette à peine allumée qu'elle se consuma presque de moitié. Comme s'ils allaient un jour nous envoyer acheter deux kilos de cocaïne à un dealer de luxe.

— J'imagine qu'on le découvrira en suivant le programme de formation.

Marston balaya l'objection d'un revers de main.

— Ils ne nous prendront pas.

Omar fronça les sourcils.

— Pourquoi ça ?

— À cause des quotas, une des places est déjà réservée à une femme. Il n'en reste donc plus qu'une. Je suis trop direct pour eux. C'est dans ma nature, je n'y peux rien. Hélas, l'honnêteté n'est pas un atout quand on veut faire carrière à Scotland Yard. On peut être aussi brillant qu'on veut, dire franchement ce qu'on pense, c'est visiblement mal vu. Tout comme la couleur de ta peau. Désolé, je sais qu'on ne devrait pas le dire, mais c'est comme ça. Regarde un peu les hauts gradés de la police métropolitaine. Blancs comme neige.

— Ça changera, affirma Omar. Et je ne vise pas un poste de direction. L'encadrement supérieur me suffira.

— Agent Marston ?

La psychologue se tenait sur le seuil.

— J'arrive, lança Marston.

Il écrasa sa cigarette dans le cendrier et la suivit. Omar resta assis, malgré la petite bruine qui s'était mise à tomber. Les dernières volutes de fumée se dissipèrent. Il inspira et expira profondément.

Son concurrent avait-il raison ? N'avaient-ils vraiment aucune chance de décrocher le poste de stagiaire ? Celles de Marston étaient effectivement minces. Omar ne s'y connaissait guère en procédures de recrutement mais il était évident que l’agent ne s'était pas présenté comme les recruteurs l'attendaient, avec ses manières brusques. Mais lui-même, comment s'en était-il sorti ? Suffisamment bien pour convaincre le commissaire divisionnaire Laurel et la psychologue de propulser un gamin de l'East End, dont la famille originaire du Pendjab vivait en Angleterre depuis trois générations, dans les rangs de la haute police ?

La bruine s'intensifia. Omar regagna le hall où les autres candidats attendaient la décision. Une femme blonde se rongeait les ongles. D'après ce qu'il avait pu en juger, elle s'en était très bien tirée, surtout dans l'exercice où ils devaient construire la tour la plus haute possible en équipe. La porte derrière laquelle la psychologue et le commissaire Laurel rendaient leur verdict s'ouvrit à la volée. Marston en sortit. Omar vit d'emblée qu'il avait essuyé un refus. Sa mâchoire était crispée et sa main droite tremblait violemment.

— Bande de crétins, siffla-t-il en claquant la porte avec fracas avant de s'éloigner à grandes enjambées furieuses sans un mot de plus.

La porte se rouvrit et la psychologue passa la tête. Une mèche rousse barrait son front. Son regard errant se posa sur Omar.

— Agent Sharif-Holbrook ?

Il ferma brièvement les yeux et prit une profonde inspiration avant de s'avancer. Il connaissait déjà le bureau pour y avoir passé les tests le premier jour. C'est là que Mme Williams l'avait évalué. Il avait dû remplir plusieurs questionnaires et résoudre des problèmes de logique de plus en plus ardus. Le commissaire Laurel lui fit signe de s'asseoir et il prit place. Son regard s'attarda sur les sourcils broussailleux du haut gradé. Ils avaient dû être noirs. Pas aussi noirs que la moustache d'Omar, mais d'un noir profond. Désormais, ils étaient gris, voire blancs par endroits.

— Comment évaluez-vous votre performance ? demanda Laurel, tirant Omar de ses pensées.

Il opta pour une réponse franche et directe.

— C'est difficile à dire. J'ai rempli les questionnaires sans trop réfléchir. Pour les casse-têtes, j'ai dû en réussir pas mal, et j'ai trouvé les exercices de groupe passionnants. Mais je n'ai aucune idée de ce que vous allez en faire.

Il vit la psychologue esquisser un sourire.

— Commençons par les questionnaires, déclara-t-elle. Vos réponses indiquent que vous êtes une personne émotionnellement stable, ouverte, agréable, consciencieuse, ni trop extrovertie ni trop introvertie.

— Je croyais qu'on disait extraverti, fit remarquer Omar.

Le sourire de la femme s'élargit.

— Oui, l'usage s'est malheureusement imposé. À l'origine, la distinction entre extraversion et introversion remonte à C.G. Jung. Il maîtrisait aussi bien les langues anciennes comme le grec et le latin que la philosophie, l'art et la littérature. Essayez de prononcer les deux mots. Pour « extraversion », la bouche s'ouvre grand, alors que pour « introversion », le flux d'air est retenu. Cette expression sonore illustre magnifiquement la signification de ces concepts.

— L'extraverti est une bête de scène expansive, l'introverti une âme timide et secrète ?

— Exactement. C'est pourquoi je trouve dommage que cette subtilité poétique se perde quand on remplace par facilité le « a » par un « o ».

— Je m'en souviendrai, promit Omar avec un sourire à la psychologue.

— Pourrions-nous en revenir au sujet ? grogna le commissaire Laurel.

Elle s'éclaircit la gorge et reprit :

— Au test d'aptitudes cognitives, vous avez obtenu un QI de 132 avec des points forts dans les domaines de la pensée logique, de la mémoire de travail et de la représentation spatiale.

— 132 ? s'exclama Omar. Waouh.

La psychologue sourit.

— Plus que le score, l'important est ce que vous faites concrètement de votre intelligence, expliqua-t-elle. Ça nous amène aux tâches collectives. Votre présentation était originale et percutante. Dans l'exercice de construction d'une tour, vous avez aidé les autres sans jamais vous mettre en avant. Et votre approche du dealer était un modèle du genre pour susciter la sympathie de son interlocuteur en un temps record.

Le cœur d'Omar s'emballa. Il ne s'attendait pas à tant de louanges.

— C'est... c'est bon signe, bafouilla-t-il.

— Pourquoi avez-vous postulé à ce poste de stagiaire ? interrogea le commissaire Laurel.

Omar déglutit. Qu'est-ce que c'était encore que cette question ? Il y avait déjà répondu au moins trois fois.

— J'aimais patrouiller, déclara-t-il. Londres est une ville formidable. J'adorais sillonner Wandsworth, parler aux gens, résoudre des problèmes, prêter main-forte à la justice. Mais ces derniers temps, j'avais de plus en plus le sentiment que je pourrais faire davantage si j'étais au bon poste.

— Ça a un rapport avec l'affaire du tueur en série de Putney ? demanda Laurel.

Omar sentit sa bouche s'assécher.

— Je n'y ai été mêlé qu'à la marge, répondit-il.

— Et pourtant, votre ancienne supérieure, le commissaire Jenner, vous mentionne plus qu'élogieusement dans son rapport final. Ça vous a mis le feu aux poudres ? Vous voulez traquer des tueurs en série ?

Omar prit une profonde inspiration.

— Pour être direct... oui !

Laurel s’affaissa dans son fauteuil.

— Vous réalisez bien sûr que ce programme de formation ne signifie pas que vous serez affecté automatiquement dans une unité spéciale chargée de résoudre des affaires de meurtre sous le feu des projecteurs ? Vous découvrirez tous les services et à la fin, nous vous proposerons un poste. Ça peut être à la Criminelle, aux Stups ou à l'Informatique. On pourrait vous envoyer sur le terrain ou derrière un bureau sans fenêtre dans une cave de Scotland Yard, à ne plus voir la lumière du jour pendant des semaines en hiver. Vous en êtes conscient ?

Omar soutint le regard du commissaire.

— Oui, j'en suis conscient.

— Et vous voulez quand même intégrer ce programme de formation ?

— Sinon, pourquoi aurais-je postulé ?

Laurel fronça les sourcils.

— Je vais être franc avec vous, déclara-t-il. Madame Williams, notre consultante externe ici présente, semble s'être entichée de vous. Elle veut me convaincre de vous donner une des deux places vacantes. Vos résultats aux tests sont remarquables et vous avez brillamment relevé les défis pratiques. C'est indéniable, je suis entièrement d'accord avec elle sur ce point. Mais si je vous recrute et qu'au bout de deux ans vous démissionnez par ennui mortel du poste de bureau que nous vous aurons confié ?

Omar s’affaissa dans son siège. Il fit tourner les pointes de sa moustache entre ses doigts.

— Eh bien, c'est un risque que vous prenez, Monsieur.

Laurel plissa les yeux.

— Je vous demande pardon ?

— Sans vouloir offenser Madame Williams, elle ne peut pas prédire l'avenir. Ce qui se passera dans deux ans, aucun de nous ne le sait. Ces derniers temps, des événements que personne n'aurait pu imaginer se sont produits. Bien sûr, je pourrais ne pas convenir au poste que vous voulez me proposer. Mais je peux vous assurer que ma volonté de m'investir, de performer et de mener à bien les missions qui me seront confiées, peu importe leur nature, ne faillira pas.

Laurel fit la moue. Il ne semblait toujours pas convaincu.

— Si je peux me permettre, intervint Mme Williams en écartant une mèche rebelle de son front. Laissons de côté tous les questionnaires, tous les tests, et le centre d’évaluation, et considérons uniquement ce que l’agent Sharif-Holbrook nous a montré ces dernières minutes. Si vous le recrutez, vous gagnerez un collaborateur intelligent, ultra motivé et passionné, que vous le chargiez de traquer un tueur en série ou de réorganiser le tri des déchets de Scotland Yard.

Omar sentit un large sourire lui monter aux lèvres mais parvint à le réprimer. Le commissaire Laurel soupira.

— Bon, assez joué la comédie. Agent, vous avez aussi réussi l'ultime épreuve. Je vous aurais donné le poste sur le champ mais Madame Williams voulait voir comment vous réagiriez en étant mis sur le gril.

Omar dévisagea la psychologue, abasourdi. Puis le sens des paroles que Laurel venait de lui adresser le frappa de plein fouet.

— Ça veut dire que j'ai le poste ?

Rebecca Williams éclata de rire.

— Pour quelqu'un avec un QI de 132, vous avez le cerveau étonnamment lent !