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Prologue : La finale

Elizabeth

Sentir mon monde s’écrouler était une sensation effroyable. Morceau par morceau, jusqu’à ce qu’il disparaisse dans un océan de noirceur et de chagrin qui menaçait de m’ensevelir. De nombreux regards étaient fixés sur moi. Chacun d’entre eux me faisait l’effet d’un profond coup de poignard dans ma chair. Mais pires encore étaient les rires. Quelques-uns faisaient l’effort de cacher leurs sourires, mais je pouvais néanmoins entendre leurs murmures amusés. J’aurais aimé pouvoir les ignorer, mais leurs voix résonnaient bien trop fort dans ma tête. Pas aussi fort que les cris de mon cœur qui voulait que je remballe mes affaires la tête basse et quitte cette académie impie, mais elles provoquaient malgré tout une pulsation lancinante dans mes tempes. Ils étaient tous au courant. Ils savaient ce que j’avais fait. Ce que je l’avais laissé me faire. Comment ai-je pu être aussi bête ? Je lui ai fait confiance, alors que je m’étais promis le contraire.

— Lizzy, appela-t-il.

J’entendais ses pas, le sentais se rapprocher et vis les autres élèves s’écarter pour nous laisser passer. La foule devant nous se divisa, mais pas pour me permettre de fuir plus rapidement. Non, chacun voulait simplement une place au premier rang pour me voir en direct enfin m’écrouler sous la pression. Je ne leur ferais pas ce plaisir. Jusqu’à présent, j’avais toujours réussi à garder ma fierté et je ne permettrais pas qu’il me retire ça aussi.

— Lizzy, reste là !

Sa voix devint plus forte. Plus autoritaire. Fut un temps, je me serais figée sur place, rien que pour le rendre heureux. Mais ces temps étaient révolus.

Ses sentiments ne m’importaient plus. Du moins, ils ne devaient plus m’importer, car nous n’étions plus amis. À vrai dire, nous ne l’avions jamais été. Tout cela n’avait été qu’un jeu pour lui.

— Elizabeth !

Son cri résonna à nouveau dans le couloir. Les murmures autour de nous s’éteignirent. Le silence s’abattit sur la foule. Tous retenaient leur souffle, tendus. Ils se réjouissaient de ce qui allait immanquablement se passer. Je hâtais le pas dans l’espoir d’échapper au malheur qui approchait. J’aurais dû retenir la leçon. Je ne pouvais pas fuir. Ni la foule curieuse, ni mes sentiments, ni Vito Perez. Que m’avait-il dit jadis ? Il obtenait toujours ce qu’il voulait. Et il avait raison. Il voulait mon cœur, et l’avait obtenu pour pouvoir le briser.

— S’il te plait, je dois te parler. Lizzy, attends ! ordonna-t-il à nouveau quand une main lourde s’abattit sur mon épaule.

Je sursautai. Mon instinct me criait de me libérer de ces doigts, mais je m’arrêtai. Si brusquement que je faillis trébucher. Mais cela n’importait plus. J’en avais assez. C’était lui qui avait commis une erreur, pas moi. Dans ce cas, pourquoi était-ce moi qui m’enfuyais, paniquée ? Ce n’était pas juste. Je n’avais rien fait, à part… tomber amoureuse de la mauvaise personne.

— Pourquoi ? Tu as obtenu ce que tu voulais, non ?

Je tournai les talons d’un mouvement fluide, afin de lui faire face. Pour la première fois depuis… Pour la première fois depuis ce soir-là, je pouvais le regarder dans les yeux. Je pensais être prête, mais dès que je plongeai dans le gris où une tempête semblait faire rage, je sus que je me fourvoyais. Rien ni personne n’aurait pu me préparer à la douleur qui explosa dans ma poitrine quand Vito me regarda, dénué d’expression. Sa main glissa de mon épaule. J’étais soulagée qu’il ne me touche plus, et en même temps, son contact me manquait. Il avait été plus proche de moi que quiconque auparavant. Et il m’avait trahie. Mes yeux se mouillèrent de larmes. Je levai le menton et posai les mains sur mes hanches, comme si une bonne posture me donnait plus de force, mais elle ne pouvait pas cacher que j’étais proche d’abandonner.

— Tu as gagné le pari, alors, félicitations ! J’espère que ça en valait la peine.

Je l’espérais réellement, car ainsi, ma douleur aurait eu un sens pour lui et sa trahison n’aurait pas été complètement vaine.

Était-il heureux maintenant ? Ses amis et lui s’étaient-ils bien amusés ? Avait-il trouvé drôle de jouer avec mes sentiments et de m’utiliser comme une vulgaire pièce d’échecs jusqu’à remporter la victoire ?

Vito ferma les yeux un instant. Quand il les rouvrit, ils scintillaient. Pendant une unique seconde. Comme un éclair pendant un orage.

— Elizabeth, je…

— Non !

Je sanglotais et sentais les larmes devenir de plus en plus nombreuses. Je clignai des yeux pour les faire disparaitre, mais il y en avait trop. Ce n’était plus qu’une question de temps jusqu’à ce qu’elles brisent le barrage de mes paupières pour recouvrir mes joues. Je ne pouvais pas les en empêcher, peu importe combien j’essayais.

— Je ne veux rien entendre. Plus jamais ! Ne m’approche plus, Vito Perez ! Tu avais raison. Tu es un coureur de jupons invétéré, le plus fort, le Seigneur de Blackbury. Je te souhaite d’être heureux avec ce titre.

Je me retournai et voulais fuir.

Maintenant. Je n’en supporterais pas plus. Peu importe mes efforts pour rester forte. Le poids qui pesait sur mon corps et me coupait le souffle était trop lourd à porter. Je n’aurais jamais dû venir. Tout ceci ne serait jamais arrivé. Que m’avait apporté mon séjour à l’académie ? Rien du tout. Un cœur brisé et encore plus de questions sans réponses.

— Elizabeth, laisse-moi t’expliquer !

La main de Vito agrippa rapidement mon poignet comme un étau. Il me tenait, ne me laissant pas d’autre choix que de rester, alors que la première larme se frayait un chemin entre mes paupières vers ma joue. Il avait réussi. Il me faisait pleurer devant tout le monde.

Je mordis ma lèvre inférieure et ravalai un nouveau sanglot. Mes dents entaillaient douloureusement ma peau et je sentis un léger goût de fer. Je saignais. Mais je ne me mordais pas assez fort pour ravaler les mots que j’avais sur la langue. Avant même que je ne puisse m’en empêcher, mes lèvres bougèrent à nouveau. Ma voix semblait sur le point de se briser et une part de moi aurait aimé qu’il en soit ainsi. Je voulais rester muette pour que personne ne sache comment je me sentais. Mais c’était impossible. Je devais lui hurler ma souffrance, sinon, j’en mourrais.

— Expliquer ? Qu’est-ce qu’il y a à expliquer ? Tu t’es servi de moi et je n’étais pas assez maligne pour m’en rendre compte. Je t’ai offert mon cœur et tu l’as piétiné jusqu’à ce qu’il n’en reste plus que de la charpie.

Je lançai un regard vers Vito par-dessus mon épaule alors que le regarder était une torture. Il semblait égal à lui-même. Comme si rien ne s’était passé. Et moi alors ? La souffrance et le désespoir étaient inscrits sur mon visage. Je le savais même sans miroir. Mes yeux devaient être rougis par les larmes. Ils brûlaient. Sans parler de mes joues, qui devaient être cramoisies par mes pleurs. Il fallait y ajouter des cernes causés par des nuits blanches, une perte de poids qui rendait tous mes vêtements trop grands, et ma peau blême qui montrait que je ne quittais presque pas ma chambre. Pratiquement jamais, pour être exacte. Jusqu’à aujourd’hui. Je pensais être prête à me confronter au monde, mais ce n’était pas le cas.

— Tu sais ce qui est le pire dans tout ça ?

— Quoi ?

La cage thoracique de Vito montait et descendait rapidement, comme s’il avait du mal à respirer ou des palpitations cardiaques. Peut-être qu’il s’agissait des deux.

Une expression coupable glissa furtivement sur son visage avant que ses traits ne redeviennent impassibles. Il jouait son rôle à la perfection. Pourquoi ne m’en étais-je pas rendu compte plus tôt ?

Non, c’était faux. Je m’en étais aperçue. Je m’étais même agacée qu’il soit un menteur au début. Jusqu’à ce que je commence à le croire. Je reniflai et voulus me libérer de l’emprise de ses doigts. Sans succès. Vito me tenait toujours et je ressentais la sensation familière que sa présence provoquait en moi partout où il me touchait.

— Il ne reste plus grand-chose de mon cœur, mais il veut être avec toi. Je ne peux m’empêcher de penser que j’aurais aimé que tu me le dises. Que tu le croies ou non, Vito, j’aurais compris. Dans n’importe quelle autre situation. Mais pas si tu t’apprêtes à coucher avec moi en me disant que j’étais ce qui comptait le plus pour toi. Le pire, c’est que je t’ai cru. Alors que tout n’était qu’un mensonge pour gagner un pari. Chaque mot était un mensonge et tu voulais ce que les autres voulaient également : ma virginité. C’est tout. Il ne s’agissait jamais de moi. Il ne s’agissait que d’un pari.

Mon menton tremblait. J’essuyais quelques larmes de ma main libre quand les souvenirs m’assaillirent. Tout avait semblé si parfait. Les bras forts de Vito qui me tenaient pour que je ne tombe pas. Ses muscles, serrés contre mon corps mou. Et ses lèvres qui avaient embrassé avec avidité chaque centimètre de ma peau. Je l’avais cru chaque seconde. Chaque instant où il avait prétendu en avoir envie — besoin — autant que moi. Jusqu’à ce que le charme se dissipe. La bulle dans laquelle nous nous trouvions avait éclaté et la réalité m’avait rattrapée. Depuis, je tentais de me ressaisir. C’était difficile. Terriblement difficile. Et personne ne me tendait la main pour m’aider. Je devais m’aider moi-même. Je devais me reprendre et me relever.

— Elizabeth, je…

Vito ouvrit de grands yeux. Il retira ses doigts de mon épaule et chancela en arrière, comme si je l’avais frappé.

— Tu dois m’écouter, je…

— Laisse tomber, Vito ! Économise ta salive ! Tu ne peux plus sauver cette relation. Et me sauver non plus.

J’essuyai une nouvelle fois les larmes de mes joues, relevai encore le menton et inspirai profondément. Une fois. Deux fois. Et je partis, sans le laisser me rattraper. Comme ça. Sans attendre qu’il réplique. J’avais encore l’espoir de pouvoir me sauver moi-même.

Je n’avais qu’à survivre aux prochaines heures, puis jours, puis semaines. Jusqu’à ce qu’un mois soit écoulé et encore un. J’y arriverais. D’une manière ou d’une autre. Il le fallait.

Chapitre 2 : Position

Elizabeth

La serviette dont j’entourai mes cheveux était trempée et désagréablement froide sur ma peau échauffée. Pourtant, je me sentis rapidement mieux quand je sortis de la salle de bain, entourée d’une seconde serviette, quelques minutes après l’entretien avec madame McQueen. La douche avait été nécessaire. Je faillis m’en passer et aller me coucher directement, mais l’attente à l’aéroport me faisait me sentir sale et mal à l’aise, ce dernier point étant surtout dû aux filles installées sur le lit de ma voisine, qui me regardaient comme si j’étais un fromage moisi qui avait passé des semaines sur une décharge. En traversant le tapis moelleux pieds nus pour atteindre ma valise qui m’attendait, fermée, sur mon lit, j’avais l’espoir qu’elles se présentent plutôt que de me regarder d’un air dégoûté. Elles m’ignorèrent, ne jetant pas le moindre regard dans ma direction. Je décidai que ne pas réagir était préférable à se vexer et ouvris ma valise. Il semblerait qu’une de ces filles soit ma colocataire et que nous ne deviendrons pas amies de sitôt. J’ignorais pourquoi cela me touchait autant. Je me doutais qu’il en serait ainsi, après tout, mon manque de moyens était évident. Mais j’aurais aimé qu’il en soit autrement et que l’argent ne soit pas important. J’aurais aimé partager ma chambre avec quelqu’un avec qui parler et rester debout jusqu’au bout de la nuit pour réviser. Au lieu de quoi j’avais hérité de quelqu’un qui ne respectait pas les règles de l’école et pour qui j’avais moins de valeur qu’un cafard parce que je n’avais pas les moyens de m’acheter un sac Gucci. À cette heure-ci, tout le monde devrait être dans sa chambre, ce qui signifiait que deux d’entre elles au moins ne devraient pas être ici. Je choisis de ne rien dire. Je ne souhaitais pas me faire d’ennemis dès le premier soir.

— Il t’a embrassée en plein milieu de l’amphi. Sa main était sur ton cul et il te serrait si fort contre lui qu’on aurait cru qu’il voulait te baiser sur le pupitre de la prof. C’est probablement ce qu’il aurait fait si madame Hopkins n’avait pas fait irruption.

La voix d’une pâle copie de Cruella s’élevait en trémolos agités. Ses cheveux étaient blancs d’un côté et teints en noir de l’autre. Sa dernière visite chez le coiffeur devait dater, car les mèches claires étaient jaunies et le noir était trop délavé pour un contraste réussi. Ses cheveux lisses tombaient sur ses épaules que sa robe bleu foncé laissait dénudées. Le tissu de la robe semblait bien trop léger pour la saison, mais allait parfaitement avec le bleu clair de ses yeux, dont l’éclat rieur était dirigé vers sa voisine, assise tout comme elle en tailleur sur le lit.

— Et toi qui t’inquiétais de savoir si vous seriez encore ensemble après les vacances, Destiny.

La troisième éclata de rire en rejetant vers l’arrière ses boucles brunes qui couvraient la moitié de son dos, tout en regardant celle qui devait être Destiny. Une mèche se prit dans un coussin du même ton rose que sa jupe qui était posé à ses côtés. Elle était appuyée contre la tête de lit, droite comme un i et secouait la tête, amusée, comme s’il était impensable que celui dont il était question ne voulût pas de Destiny. Je pouvais le comprendre. Elle était jolie. Magnifique même. De longs cheveux roux tombaient en cascade le long d’un corps tout en courbes, encadrant un visage en forme de cœur où brillaient deux yeux vert clair. Ses joues étaient couvertes de taches de son. Pas assez pour que cela ressemble à de l’urticaire, mais assez pour la différencier des autres filles. Elle leva fièrement le menton. Bien plus que ses amies, de sorte qu’il était évident qui faisait la pluie et le beau temps dans ce groupe d’amies.

— N’était-ce pas une supposition justifiée ? Il n’a pas donné signe de vie pendant des semaines, marmonna Destiny à voix basse et la façade d’arrogance et de puissance qui l’entourait sembla se fendiller.

Une expression jalouse apparut sur son visage, mais celle-ci disparut aussi vite qu’elle était venue et elle trônait à nouveau sur le lit comme si elle était la reine, non seulement de cette chambre, mais de tout le campus. L’homme dont il était question devait compter pour elle, mais je doutais qu’il s’agisse réellement d’amour. Sinon, elle serait soulagée, non ? Au lieu de ça, sa voix semblait déçue. Comme si elle s’était attendue à ce qu’il la contacte parce que c’était son devoir.

— Il t’aime et tu lui as manqué, insista Cruella en lui adressant un sourire confiant.

Elle hocha la tête, prit la main de sa reine et la regarda comme si elle attendait des louanges qui ne viendraient jamais.

— Il était peut-être simplement stressé. J’ai entendu dire qu’il a travaillé dans l’entreprise de son père ces deux derniers mois et qu’il reprendrait le flambeau après son diplôme.

Son visage s’illumina tant qu’on aurait dit une ampoule qui éclairait toute la pièce.

— Ce serait génial. Tu n’aurais pas besoin de travailler et tu pourrais rester à la maison avec les enfants pour surveiller la nounou.

Je lâchai un son railleur bien trop vite, et je ne pus le retenir. Je le regrettai aussitôt quand trois paires d’yeux se tournèrent vers moi et me considérèrent avec la même expression que lorsque j’étais entrée : une arrogance remplie de confiance en soi. Ces trois-là pensaient être mieux que moi et si j’étais honnête avec moi-même, elles avaient probablement raison. Mais la cuillère en argent qui manquait dans ma bouche ne signifiait pas qu’elles pouvaient me traiter n’importe comment. De plus, j’avais raison, non ? C’était ridicule. Y en avait-il une seule qui croyait à ce qu’elles disaient ? Comment pouvaient-elles inventer une vie à un mec — qui non seulement n’aimait pas assez une femme pour l’appeler, peu importe son niveau de stress — dans laquelle il avait une épouse et des enfants dont il ne voulait peut-être même pas ?

— Tu as quelque chose à dire ? demanda Destiny.

Le ton de sa voix indiquait qu’elle ne voulait pas m’entendre. Pas un bruit, pas même ma respiration. Elle étrécit les yeux et croisa les bras. N’importe qui d’autre se serait avachi pour être plus à l’aise, mais elle resta droite, comme si elle portait un corset. Peut-être était-ce le cas. Plus rien ne m’étonnerait ici et cela expliquerait sa taille de guêpe.

— Non.

Je détournai les yeux et retournai à ma valise. Ne pas se faire d’ennemis dès le premier jour… Ça commençait bien. Je devais apprendre à fermer ma gueule. Après tout, ce n’était pas mon problème et ça ne me concernait pas. Destiny retomberait bien assez vite de son nuage pour atterrir la tête la première dans une flaque quand elle admettra que ce mec ne s’intéressait pas vraiment à elle et ne l’épouserait pas. À moins que je ne me trompe. Peut-être était-ce courant dans ce milieu et l’amour n’était pas important tant qu’on avait assez d’argent. L’épouserait-il pour son fric ? Je ne voulais pas répondre à cette question.

— Alors, tais-toi ! siffla Destiny.

Je me courbai encore plus sur ma valise pour me retrouver le nez sur le pull sur le dessus de la pile. Il n’était pas à moi, mais à tante Grace. J’ignorais pourquoi je l’avais emporté. Je ne l’avais pas prévenue. Mais j’avais éprouvé le besoin d’emporter un peu d’elle avec moi. Elle me manquait déjà. Avais-je commis une erreur ? Devrais-je repartir ? L’idée était tentante, mais je ne voulais pas abandonner si vite. En partie pour ne pas donner raison à Grace, mais je choisis d’ignorer ce fait.

— C’est qui, elle, d’ailleurs ?

Cruella — non, ce n’était pas juste, j’aimais trop l’extravagante méchante de mon Disney préféré pour donner son nom à l’une des amies de Destiny. Ella ? Mella ? Bella ? Rien ne semblait lui aller. Fallait-il que je leur demande leurs noms ? Je levai la tête et plongeai dans ses yeux clairs. Non, je ne poserais pas la question. Druella ? Oui, ça sonnait bien. C’est ainsi que je l’appellerais. Druella leva un sourcil parfaitement épilé et même s’il était évidemment que ce n’était pas à moi qu’elle parlait, continua à me fixer.

— Personne, répondit Destiny en roulant des yeux.

Même cette réplique n’entacha pas sa beauté. J’attrapai à l’aveugle le premier pantalon et le premier pull qui me tombèrent sous la main. Sentir leur regard sur moi me mettait mal à l’aise. Pas seulement à cause de leur expression, mais tout simplement parce qu’elles me regardaient. Merde, la prochaine fois, j’emporterai mes vêtements à la salle de bain pour ne pas avoir à me balader devant elles à moitié nue. J’aurais dû y penser plus tôt, mais je n’avais jamais partagé ma chambre avec personne. Je n’avais même jamais dormi ailleurs que chez moi.

— De nos jours, ils laissent n’importe qui étudier ici s’il a assez d’argent, s’écria Daisy, la troisième, que je choisis de nommer ainsi parce que ses lèvres peintes étaient serrées en une fine ligne.

Le rouge à lèvres empêchait néanmoins ses lèvres d’adhérer et elles formaient un bec de canard, pointé vers l’avant et étrangement difforme. Elle tendait le cou d’une manière peu naturelle pour mieux m’observer. Une allusion à un paon aurait été plus judicieuse, mais j’étais satisfaite de mon choix. Druella, Daisy et Destiny. Les trois D de l’horreur.

— Elle n’a pas d’argent. Vous n’avez pas entendu parler du projet de charité ?

Destiny ricana comme si la simple idée que des étudiants sans le sou soient acceptés à la Blackbury Academy était impensable. Alors que les bourses existaient depuis des années dans toutes les autres universités. Tout le monde ne naissait pas dans une famille riche. Grandir sans argent était bien assez compliqué. Pourquoi me refuser l’accès aux études en sus ? De plus, nous n’avons pas toujours été pauvres. Ma famille a dû avoir de l’argent, sinon, ni ma tante ni mes parents n’auraient étudié ici. Où cette fortune avait pu passer faisait partie de la dizaine de questions qui me torturait.

Druella plaqua ses mains sur sa bouche :

— Ils t’ont installée avec la boursière ? Mon Dieu, Destiny, je suis désolée.

Une expression outrée s’installa sur son visage et ses yeux se remplirent de larmes. J’essayai de ne pas m’énerver de cette réaction, sans succès. J’étais boursière, et alors ? Ce n’était pas une maladie contagieuse, personne n’allait faire faillite parce qu’il m’avait touchée.

— Elizabeth ! la corrigeai-je en me protégeant de mes vêtements.

Je laissai mes yeux se promener dans la pièce en évitant les trois Grâces pour qu’elles ne puissent pas m’intimider davantage. Malheureusement, la pièce se révéla tout aussi intimidante. Je n’y avais guère prêté attention en arrivant, car je voulais me laver le plus rapidement possible, mais je la voyais désormais dans toute sa splendeur. Un chandelier semblable à celui du hall pendait au plafond. Il était plus petit, mais éclairait toute la pièce, du papier peint à motifs d’arabesques à la plus petite tache sur le tapis noir. La chambre, qui aurait été assez grande pour quatre, était meublée de deux lits, deux tables de chevet et deux armoires. Les deux zones étaient délimitées par une grande table ronde et ses quatre chaises, au milieu de la pièce. Pourquoi elles s’étaient réfugiées sur le lit restait un mystère.

— Pardon ?

Les yeux de Destiny s’agrandirent, comme si elle ne pouvait croire que j’avais osé dire quelque chose. Son comportement ne fit qu’alimenter ma colère. Bien sûr, je ne voulais pas d’ennuis, mais je n’allais pas me laisser traiter comme un humain de seconde classe. J’avais le droit d’être ici. Mes notes étaient excellentes et j’avais suivi chaque cours de mon ancienne école de mon plein gré pour apprendre le plus possible. Cela ne valait-il donc rien ?

— Mon prénom, expliquai-je, ravie que ma voix soit forte, même si j’aurais préféré ranger ma valise pour me réfugier sous la couverture. C’est Elizabeth, et pas la boursière. Peut-être que dans votre univers, c’est l’argent et l’influence qui font la loi, mais dans le mien, c’est la politesse et le savoir-vivre. C’est pourquoi je vous demanderais de m’appeler par mon prénom.

Et vous présenter… aurais-je voulu ajouter, mais je préférai ne pas insister et pris un soutien-gorge qui, par chance, n’était pas trop loin dans la valise. Je n’avais plus besoin que d’une culotte pour disparaitre à nouveau et m’habiller. J’espérais presque que les trois abandonnent la conversation et attendent que je me retire dans la salle de bain, mais je n’eus pas cette chance.

Destiny se leva gracieusement du lit et posa les mains sur les hanches. Elle passa une langue sur ses lèvres, prête à attaquer.

— Nous sommes polies. Si nous ne l’étions pas, on t’aurait foutue dehors sur le champ, parasite.

— Je ne suis pas un parasite !

Je soufflai, indignée, et fixai Destiny. Comment osait-elle ? Je n’avais pas besoin d’aumône. Je serais parvenue, d’une manière ou d’une autre, à faire des études.

— J’ai travaillé dur pour obtenir ma place ici.

Ce n’était pas un mensonge, j’avais révisé, révisé, révisé. Sans relâche. C’était certainement la raison pour laquelle j’avais si peu d’amis. Bon, d’accord, je n’en avais aucun. J’avais certainement fait plus de sacrifices que chacune d’entre elles et je devais les laisser me traiter ainsi ? Certainement pas !

— Ah, vraiment ? T’as dû sucer combien de queues avant d’arriver ici ? Cinq ? Dix ? Vingt ? Tu dois encore être tout irritée et c’est en train de s’infecter.

Daisy, amusée, cancana comme un canard et se leva à son tour. Elle se plaça à côté de Destiny et croisa ses bras ce qui poussa sa poitrine vers le haut. Celle-ci en eut l’air encore plus imposante. Comme si elle allait jaillir de sa robe courte.

Je m’apprêtais à rétorquer qu’elle devait s’y connaitre en prostitution, mais je ravalai ces paroles. Je ne voulais pas me disputer. D’une, j’étais en infériorité numérique, de deux, il fallait que nous nous entendions, car je doutais qu’on m’attribue une nouvelle chambre rapidement.

— Écoute, c’est mon foyer maintenant. Je ne veux pas d’ennuis, mais je ne veux pas être insultée chez moi non plus. Nous poursuivons le même objectif : un bon diplôme. Si quelque chose ne vous plaît pas, vous pouvez partir. Il est déjà tard. Nous pourrons en rediscuter demain en toute tranquillité, proposai-je en cherchant une culotte.

Armée de mes vêtements, je voulus me diriger vers la salle de bain, mais Daisy me barra la route, m’empêchant d’accéder à la porte. Je soupirai, frustrée.

— Laisse tomber, Camille ! Regarde cette petite nonne. Elle n’a certainement jamais vu de bite et si c’est le cas, le pauvre gars n’a pas dû bander.

Destiny gloussait, amusée de sa propre plaisanterie. Ce son se grava dans mon tympan et me fit bouillonner de colère de plus belle. C’était… c’était… complètement dégoûtant. Comme si le nombre de mes partenaires sexuels indiquait si j’étais digne d’être ici ou non.

— Pas vrai, Camille ?

Camille ? Non, ça ne lui allait pas. Ce sera Daisy pour moi. Le canard se joignit au ricanement de son amie et, un peu plus tard, après un regard courroucé de Destiny, Druella se mit à glousser également.

Je soupirai, épuisée. Super, ça commençait bien.

— Vous pourriez vous voir ailleurs ? J’aimerais m’habiller en paix.

Je regardais Daisy, dans l’espoir qu’elle me laisse passer, mais elle ne bougea pas d’un pouce. Ses yeux étaient posés sur Destiny, comme si elle attendait l’ordre de me laisser passer. Je n’eus pas cette chance.
— J’ai une meilleure idée.

Un sourire funeste fit son apparition sur le visage de Destiny. Il s’élargit, encore et encore, jusqu’à ce que les commissures de ses lèvres rejoignent presque ses oreilles.

— On reste ici et tu t’habilles dehors, lança-t-elle.

Daisy réagit aussitôt et s’empara des vêtements auxquels je m’agrippais en me les arrachant des mains. Tout arriva si vite que je m’en rendis compte seulement quand mes affaires furent par terre. Je me baissai pour les ramasser, mais Daisy était plus rapide. Elle envoya les vêtements d’un coup de pied à Destiny qui les ramassa en riant. Je voulus les reprendre, mais mes gestes brusques défirent le nœud qui maintenait ma serviette et je dus retenir le tissu pour ne pas me retrouver nue comme un ver devant elles.

Le sang afflua vers mes joues. Je m’agrippai à ma serviette, honteuse. Désespérée, je vis Destiny grimacer de dégoût en retournant mon soutien-gorge et voyant à quel point il était délavé. Le blanc autrefois éclatant était désormais grisâtre, mais il accomplissait encore vaillamment sa tâche, c’est pour cela que je ne l’avais pas encore jeté.

— On devrait être plus sympa avec elle. C’est son premier jour et…

Druella se tut immédiatement quand Daisy et Destiny se tournèrent vers elle. Elle rentra les épaules et se mordit la lèvre. On aurait dit qu’elle voulait ajouter quelque chose et j’aurais aimé savoir quoi. Mais elle resta muette.

— Je suis désolée, chuchota-t-elle et je n’étais pas sûre à qui s’adressaient ses excuses, à ses amies, ou à moi.

Peu importait au final. Elle resta assise sur le lit tandis que Destiny ouvrit la porte et jeta mes vêtements dans le couloir.

— Allez, va chercher ! ordonna-t-elle en désignant la porte d’un coup de tête.

La lumière du couloir, reliée à un détecteur de mouvement, s’alluma, et mes affaires claires ressortirent encore plus sur la moquette noire qui semblait recouvrir tout le bâtiment.

— Très mature, soufflai-je en roulant des yeux, agacée.

Je passai devant Destiny pour récupérer mes affaires et revenir fissa dans la chambre. Mais quand je voulus rentrer, Destiny se mit en travers de la porte pour m’empêcher de passer.

— Pouvons-nous régler ça entre gens civilisés ?

— Laisse-moi réfléchir.

Destiny tapota son menton, mais sa mine réjouie m’indiquait qu’elle ne pensait même pas à mener une conversation sérieuse avec moi. Elle avait un autre plan. Mais je ne m’en rendis compte que lorsque ses lèvres formèrent un sourire moqueur et que ses yeux s’étrécirent.

— Non. Que dirais-tu de te trouver un autre hébergement pour cette nuit ? Et pour toutes les autres aussi.

Destiny recula d’un pas et claqua la porte, m’enfermant ainsi dehors. Le claquement résonna quand elle força la porte à se refermer. Puis le silence m’entoura. Pour une seconde, et une suivante, jusqu’à ce que je réalise ce qui venait de se passer. Elle m’avait mise à la porte. De ma propre chambre. Avec rien d’autre qu’une serviette sur la tête et une seconde sur le dos.

— C’est quoi ce délire ? Destiny ? Destiny, ouvre la porte ! ordonnai-je en frappant du poing qui n’était pas occupé à tenir ma serviette contre la porte. Je frappais de plus en plus fort, dans l’espoir qu’elles se sentent si dérangées par le bruit qu’elles me laissent entrer, mais cela n’arriva pas. La porte resta close et je commençais à avoir froid. Il faisait bien plus chaud dans la chambre que dans le couloir. Un courant d’air chatouilla les zones qui n’étaient pas couvertes par la serviette. Je grelottais. Je pensai à me changer dans le couloir, mais le risque que quelqu’un me voie était trop grand. Je préférai nouer la serviette humide qui entourait mes cheveux autour de mon corps, même si les mèches humides dégoulinaient désormais sur mes épaules nues.

— Non, s’il te plaît ! Laisse-moi entrer ! C’est pas drôle !

La chair de poule recouvrit mon corps. Mes joues s’échauffèrent et devaient être rouge vif. Que faire ? Retourner voir madame McQueen et traverser la moitié de l’école à moitié nue ? Non, ce n’était pas une option viable, mais il devait bien y avoir des toilettes ou une salle d’eau quelque part dans les couloirs, je pourrais y passer la nuit jusqu’à ce que quelqu’un arrive. Le personnel d’entretien ou les professeurs par exemple. Merde, je m’étais perdue au moins trois fois en cherchant ma chambre en étant armée d’un plan. Sans, je ne ferais qu’errer jusqu’à tomber par hasard sur quelqu’un qui pourrait m’aider. Pouvait-il m’arriver pire ?

— Putain, s’il te plaît, Destiny !

Désespérée, je frappai une dernière fois contre la porte sans pouvoir refouler mes larmes. Ma vue se brouilla et une seule pensée dominait mon esprit : tante Grace avait raison. Elle ne voulait pas que je vienne à l’académie et désormais, je savais pourquoi. Je n’étais pas à ma place ici et ne le serais jamais.

Chapitre 3 : Le gambit de la dame

Elizabeth

J’ignorais combien de temps s’était écoulé dans le couloir à lutter contre les larmes. Mais au bout d’un moment, la bataille contre les pleurs et la honte qui me rongeait fut perdue. Mes coups contre la porte devinrent de plus en plus faibles. Mon énergie fondait comme neige au soleil. J’étais terriblement épuisée. Un sanglot m’échappa, et un autre, et encore un autre, jusqu’à ce que les premières larmes coulent sur ma joue. Je frappai une dernière fois alors que les jointures de mes doigts étaient déjà rouges et douloureuses. Une infime partie de moi voulait s’enfuir pour se cacher dans le placard le plus proche, mais c’était impossible. Je n’étais même pas sûre de trouver un placard ici. L’académie était certainement trop chic pour cela. Que tante Grace soit partie ne me surprenait plus maintenant. Si tout le monde était comme ça dans la Blackbury Academy, je me serais enfuie aussi à sa place.

Je sanglotais encore, si fort que je n’entendis les pas derrière moi que lorsqu’il fut trop tard. Peut-être aussi que je ne les aurais pas entendus de toute manière, car le bruit des lourdes bottes était étouffé par le tapis.

— Tout va bien, Blondie ?

Une voix inconnue me fit sursauter. Je me relevai, effrayée, et le regrettai aussitôt. Les serviettes avaient glissé et menaçaient de dévoiler ma poitrine, mais je parvins à les remonter in extremis avant que l’homme ne voie quelque chose qui ne lui était pas destiné.

— Blondie ? répétai-je, sans comprendre.

J’avais toujours cru à une blague quand quelqu’un disait que son cerveau avait planté. Scientifiquement parlant, c’était impossible. Mais j’aurais pu jurer que c’est ce qui venait de se passer. Je m’attendais à tomber sur un professeur qui faisait sa ronde, mais l’homme qui me faisait face n’en était certainement pas un. Non, il ressemblait plutôt à un de mes fantasmes qui serait devenu réalité. Ses cheveux noirs retombaient librement sur son visage et cachaient presque ses yeux, qui semblaient noirs également dans cette lumière. Mais l’éclat gris indiquait qu’ils devaient être d’une autre couleur en réalité. Ses yeux étaient posés sur moi. Il me regardait fixement et je ne pus m’empêcher de lui rendre son regard. De longs cils ourlaient ses yeux qui auraient pu sembler féminins si le reste de son apparence l’eut autorisé. Il avait des traits aristocratiques, anguleux, qui allaient à merveille avec son corps musclé qu’il avait habillé d’un jean large et d’un tee-shirt sans manches. Une chaîne était fixée à la ceinture de son pantalon, elle bruissait doucement à chacun de ses pas et lui donnait un air rebelle, tout comme les tatouages sur ses bras. Ils partaient de ses doigts et disparaissaient sous son tee-shirt. Je tentai d’imaginer à quoi ils ressemblaient sous le vêtement. Son corps en était-il recouvert ? Seulement le haut ? Avait-il autorisé quelqu’un à parcourir avec une aiguille sous sa ceinture… Je déglutis. Non, je ne devrais pas nourrir de telles pensées envers un homme que je ne connaissais pas. Encore moins en étant à moitié nue. Stop ! À moitié nue ? Ah oui, en effet. Je baissai la tête, honteuse, et serrai les doigts encore plus fort dans les serviettes. Ce n’était pas vrai ! Je n’avais jamais trouvé un mec beau auparavant et là, je tombais nez à nez avec quelqu’un qui correspondait exactement à ce que je m’imaginais alors que je… Non, je devais reprendre mes esprits rapidement. Penser à me masturber était bien la dernière chose à faire. Je devais retourner dans ma chambre. Laisser le sol m’engloutir. Disparaitre du champ de vision de l’homme qui me fixait toujours. Est-ce qu’il aimait ce qu’il voyait ?

— Tes cheveux, ils sont blonds, expliqua-t-il en avançant doucement.

Plus que quelques mètres nous séparaient. Il inclina la tête et m’examina, de la racine des cheveux à la pointe des pieds. Sa mine ne trahissait aucune émotion. Je ne pouvais pas identifier si le spectacle lui plaisait ou non. Néanmoins, un déclic se produisit en moi. Un fourmillement chassa la colère de mes entrailles. C’était à la fois dérangeant et agréable, car je ne pouvais pas vraiment le classer.

L’embarras me saisit. Mes larmes se tarirent. J’essuyai gauchement les dernières traces sur mes joues. Je me pressai contre la porte derrière moi en souhaitant avoir pris le risque de m’habiller dans le couloir. J’opinai.

— C’est vrai.

Ma main gauche lâcha la serviette pour toucher mes cheveux qui étaient presque secs. Depuis combien de temps étais-je déjà dans le couloir ? Assez longtemps pour que mes orteils soient gelés. L’homme sembla s’en rendre compte, car il se baissa pour ramasser mes vêtements et s’approcher de moi.

— Tu as besoin d’aide, c’est possible ? demanda-t-il en regardant la porte puis moi d’un air interrogateur avant de laisser mes affaires tomber à mes pieds en souriant. Ma culotte et mon soutien-gorge atterrirent sur le dessus de ma pile, lui offrant ainsi le spectacle de mes sous-vêtements. Était-il possible de rougir jusqu’à ressembler à une tomate ? Si oui, je n’avais pas besoin de miroir pour savoir à quel légume je ressemblais.

Je me hâtai de répondre, sans même y réfléchir :

— Non !

J’aurais tout fait pour qu’il se dissipe en fumée. Ou que ce soit moi qui parte en fumée. Mais il resta planté là, fronça les sourcils et regarda à nouveau la porte fermée dans mon dos. Il ne se tourna pas pour partir comme je l’espérais. Non, il continua à me regarder jusqu’à ce que les larmes refassent surface.

Les épaules basses, je finis par admettre :

— Oui.

Ridiculisée, je quittai la porte et croisai les jambes, ce qui devait me donner l’air encore plus misérable.

— Alors quoi ? s’amusa l’homme en saisissant mon poignet pour l’extirper de mes cheveux.

Effrayée, je levai les yeux pour croiser les siens. Je remarquai que je devais jouer avec mes cheveux, car une mèche était entortillée autour de mon index et se déroula lentement quand ma main s’éloigna de mon crâne.

Je lâchai un jappement surpris par ce contact soudain. Non, c’était faux. Le bruit franchit mes lèvres à cause de la conséquence de ce contact. La sensation dans mes entrailles se renforça et se propagea à mon bas ventre. L’endroit qu’il avait touché s’échauffa subitement et la chaleur se transmit au reste de mon corps. J’avais chaud malgré les températures basses.

— Je me suis enfermée hors de ma chambre.

Il prit son temps pour lâcher mon poignet. Il retira doigt après doigt de ma main et me priva de sa chaleur.

— Ta coloc ne peut pas t’ouvrir ?

— Elle n’est pas là.

Ma bouche était sèche. Je déglutis, mais ma gorge se desséchait à chaque mot. J’avais mauvaise conscience de lui mentir, mais que dire d’autre ? Que ma coloc était une connasse et m’avait mise à la porte parce que j’avais été assez bête pour sortir à moitié nue ? Non merci ! Je m’étais assez couverte de honte. Mais mon mensonge n’eut pas l’effet escompté. Au lieu d’acquiescer et de me croire, il éclata de rire.

— Évidemment, dit-il d’un ton plein de sous-entendus.

Il passa une main dans ses cheveux.

— Tu es la nouvelle, n’est-ce pas ? supposa-t-il en s’appuyant contre la porte.

Il n’était plus qu’à quelques centimètres de moi. Une odeur âcre et terreuse l’entourait et m’enfermait jusqu’à ce que je ne puisse plus distinguer l’odeur de pomme de mon shampooing. Son parfum me tenait prisonnière et je l’inspirais plus profondément à chaque respiration.

— Oui.

Était-ce si évident ? Probablement. Il suffisait sans doute de jeter un œil à mes vêtements pour savoir que je n’avais pas assez d’argent pour payer les frais de scolarité. Être riche ne m’avait jamais importé pour le moment. Grace avait fait de son mieux pour que j’aie tout ce dont j’avais besoin. Elle avait réussi. Je n’avais jamais manqué de rien et je ne voulais pas être ingrate et en vouloir toujours plus. Mais à cet instant, j’aurais tout donné pour avoir une robe griffée comme celle de Destiny ou un soutien-gorge qui ne m’accompagnait pas depuis que j’avais une poitrine.

— Que quelqu’un arrive une semaine après le début des cours est inhabituel, marmonna la bombe sexuelle pensivement en se penchant encore plus vers moi.

Je ne m’étais pas rendu compte de sa taille quand il se tenait loin de moi, mais c’était désormais une douloureuse évidence. Il avait une tête de plus que moi et ses mains puissantes semblaient capables de porter mon corps gracile sur des dizaines de kilomètres. Le fourmillement dans mon bas-ventre s’intensifia lorsque je l’imaginai me prendre dans ses bras protecteurs. Je serrai les cuisses, mais, au lieu de réprimer cette sensation, celle-ci ne fit qu’empirer. Je gémis doucement et priai qu’il ne m’ait pas entendue. Mais le sourire qui flottait sur ses lèvres s’élargit, indiquant que je n’avais pas de chance.

— J’ai eu quelques soucis lors du voyage, expliquai-je rapidement pour dire quelque chose et me sortir de cette situation embarrassante.

Elle devint encore plus gênante, car il se baissa tellement que je sentis son souffle sur mes lèvres. Mon bas-ventre commença à pulser. Non pas que ce fût une mauvaise chose, mais c’était inhabituel et complètement déplacé. Je n’étais pas le genre de fille à se laisser baiser dans les couloirs d’une école par des beaux mecs. Tante Grace avait mis un point d’honneur à me répéter à n’importe quelle occasion que mon corps et mon cœur étaient précieux et que je ne devais offrir ni l’un ni l’autre à quelqu’un en qui je n’avais pas totalement confiance. Cela m’avait été facile pour le moment, personne n’avait éveillé mon intérêt après tout. Mais lui ? Il jouait dans une autre ligue que les hommes que j’avais pu rencontrer jusqu’à présent. Il s’appuya contre le mur, détendu, et bloqua le passage vers la droite. Il posa la main gauche sur mon menton et le leva pour que je le regarde dans les yeux. Ce n’est pas ce que je voulais, car chaque seconde passée à plonger dans le gris acier de ses yeux me noyait encore plus. Comme s’ils étaient un tourbillon qui m’emportait de plus en plus loin.

— C’est peut-être un signe du destin que je veuille t’empêcher de faire une bêtise, souffla-t-il contre mes lèvres.

Ses paupières mi-closes assombrissaient encore plus ses yeux. J’avais le souffle coupé. Penser devenait difficile. Quel goût auraient ses lèvres s’il les posait sur les miennes ? Je fronçai les sourcils pour lui demander :

— Une bêtise ?

Que voulait-il dire par là ? Je ne pouvais pas me mettre dans une situation pire que celle dans laquelle je me trouvais déjà. Enfin, si ! Je pourrais me lécher les lèvres d’un air gourmand et poser ma main sur son torse. Et pendant même que cette idée me traversait l’esprit, c’est exactement ce que je fis.

— Oui, rit-il.

C’était un son chaud et harmonieux.

— Comme croire que tu es la bienvenue ici. Ce n’est malheureusement pas le cas, gronda-t-il doucement.

J’hésitai. Ces mots me firent l’effet d’une douche froide et mon cerveau se remit en marche. Que venait-il de dire ? Le fourmillement dans mon corps disparut et la chaleur diminua. Wow ! Comment quelqu’un d’aussi beau pouvait-il réduire à néant tout son sex-appeal rien qu’en ouvrant la bouche ?

Avant qu’il ne puisse se baisser davantage et vraiment m’embrasser, je le repoussai d’une main sur son torse et m’écartai du côté laissé libre. L’une des serviettes glissa et tomba par terre, mais je l’ignorai en agrippant d’autant plus la serviette restante.

— Qui décide de ça ?

La bombe sexuelle toussota. Il me regarda, surpris, comme s’il ne pouvait croire que je venais de m’écarter volontairement de lui. J’aurais préféré m’enfuir en courant.

— L’élite.

— Laisse-moi deviner, tu en fais partie, sifflai-je sans même savoir contre qui se dirigeait ma colère.

Contre lui, parce qu’il était visiblement encore un connard qui se croyait tout permis parce que son papa avait assez d’argent ? Ou contre moi-même, parce que j’ai vraiment cru un instant que mon fantasme d’un homme parfait était devenu réalité. La perfection n’existait pas. C’est pour cela que l’homme de mes rêves resterait là où il est : dans mes rêves.

— Tu devrais te faire des amis, ici, Blondie, pas des ennemis, me conseilla-t-il en me prenant par les hanches pour m’attirer à lui.

Son corps entra en contact avec le mien. Serrée contre lui, éberluée, j’étais dans l’incapacité de bouger, ce qu’il prit pour une marque d’assentiment, car il passa lentement sa main sous ma serviette, sur mes hanches. Je me raidis sur le champ. La pulsation entre mes jambes reprit de plus belle, avec une puissance qui me fit haleter. Cherchant un appui, j’empoignai son épaule de ma main libre et ouvris la bouche. Mes paupières commencèrent à battre d’elles-mêmes. Il rit et continua à explorer mon corps de ses mains. Elles caressaient ma taille, mon ventre et mon aine. La pulsation devenait plus forte à chaque geste, jusqu’à ce que le battement atteigne mon entre-jambes. Mon cœur battait la chamade. Un nouveau halètement m’échappa.

— Je pourrais être ton ami, proposa-t-il en faisant encore descendre ses doigts qui effleurèrent mon intimité.

Cela suffisait. Je me raidis. Qu’est-ce que j’étais en train de faire ? Il n’avait pas le droit de me toucher là. Nous ne nous connaissions même pas !

— Je ne veux être amie qu’avec des personnes qui le méritent, protestai-je véhément et bien plus fort qu’escompté, tout en me libérant et trébuchant en arrière.

Mon dos cogna violemment contre le mur à côté de ma chambre. Une vive douleur traversa mon corps, mais elle était préférable au désir qui me possédait encore et me criait de me jeter sur lui, pour qu’il continue ce qu’il avait interrompu. Effrayée, je le regardais. Il me rendit mon regard en souriant, m’adressant un clin d’œil espiègle, comme s’il connaissait exactement mon tourment.

— Je serais étonné que tu ne changes pas d’avis, Blondie, souffla-t-il en me suivant pour planter un baiser sur ma joue avant de me relâcher.

Il tourna son attention vers la porte de ma chambre :

— Camille ! Destiny ! Elvira ! Ouvrez !

Il frappa fermement contre le bois, sa voix ne souffrant aucune objection. Je ne fus donc pas surprise que la porte s’ouvrît en un clin d’œil. J’aurais voulu m’y réfugier au plus vite, mais je ne pus bouger. Je cherchais mon souffle, appuyée au mur. J’avais posé une main à l’endroit où il m’avait embrassée. L’endroit chatouillait et était chaud. Il n’aurait pas dû l’être. Il m’avait embrassée. Sans consentement.
— Vito ! susurra Destiny qui afficha un sourire magnifique en découvrant le bellâtre devant sa porte.

Elle rejeta ses cheveux en arrière d’un mouvement fluide, découvrant ainsi son décolleté.

— Que pouvons-nous faire pour toi ?

— Vous avez oublié quelque chose dans le couloir.

Vito me montra du doigt sans même me regarder. Il fixait Destiny qui se léchait lascivement les lèvres et l’admirait, les yeux brillants.

Merde ! C’était lui, le mec dont elles parlaient ?

— Oublié ? Mis dehors serait plus juste, mais malheureusement, elle a retrouvé son chemin.

Destiny émit un claquement de langue désapprobateur. Une expression agacée traversa furtivement son visage avant de sourire à nouveau et de passer ses bras autour du cou de Vito. Elle serra son corps contre celui du jeune homme et l’embrassa sur la joue. Comme il l’avait fait pour moi. Comment réagirait-elle si elle l’apprenait ? Je préférais ne pas savoir, et encore moins me poser la question de ce que Vito, qui avait vraisemblablement une petite-amie, aurait fait avec moi si je l’avais laissé.

— Tu m’as manqué, murmura Destiny en frottant son bassin de manière équivoque contre lui.

Elle leva la tête en gémissant quand il posa ses mains sur ses fesses. Ils n’allaient quand même pas entamer des préliminaires alors que j’étais à côté ? Je réprimai un haut-le-cœur. Non, je n’avais vraiment pas envie de voir ça.

Je ramassai prestement mes vêtements, renonçai à ramasser la serviette, et fis face au couple.

— Laissez-moi passer, ordonnai-je à Destiny, les invitant à me faire place.

Ils ne bougèrent pas. Quand cette journée se terminerait-elle enfin ?

— Ah ? Et si on ne le fait pas ?

Destiny tourna la tête vers moi avec un sourire mauvais, se serrant tellement contre Vito que même un courant d’air n’aurait pu passer. Druella et Daisy gloussaient en arrière-plan. Elles chuchotaient, mais je ne pus entendre ce qu’elles disaient.

— Je ne veux que m’habiller et aller dormir.

On aurait dit que je quémandais. Je me haïssais pour cela, mais je ne pouvais rien y faire. La frustration que rien ne se passait comme prévu me poussait au désespoir. Si le premier jour se passait comme ça, comment se dérouleraient les semaines suivantes, voire le semestre entier ?

Destiny roula à nouveau des yeux. Seul le blanc fut visible pendant un bref instant.

— Et moi, je ne veux pas partager ma chambre avec toi. Personne n’a ce qu’il veut, semblerait-il.

— Destiny ! cria Vito avant que je puisse répondre.

Sa voix ressemblait à un grondement dangereux. Il saisit le poignet de Destiny et l’enleva de sa nuque. Il repoussa doucement ce canon. Je le fixai, surprise, mais il évita mon regard.

— Très bien !

Destiny s’écarta à contrecœur de sorte que je pus me faufiler dans la chambre. Je me sentis immédiatement mieux. Moins démunie. Ce n’aurait pas été possible sans Vito. J’ignorais combien de temps Destiny m’aurait vraiment laissé moisir dans le couloir s’il n’était pas passé et n’avait pas frappé. Il n’avait pas à le faire. Il aurait pu choisir de m’ignorer et de continuer son chemin, où qu’il eût mené. Une chose était sûre néanmoins : il n’avait pas voulu aller chez Destiny, sinon, il serait resté ou ne l’aurait pas traitée de manière aussi désinvolte. Ce n’était donc pas la porte de Destiny qu’il cherchait. Voulait-il visiter une autre jeune femme ?

— Merci pour ton aide, soufflai-je à voix basse dans sa direction en posant mes vêtements sur la table au milieu de la pièce pour remonter ma serviette qui menaçait de glisser une nouvelle fois.

Destiny le vit, mais ne pensa pas à claquer la porte au nez de Vito. Elle préféra lisser sa robe, gênée, et sourit comme s’il ne venait pas de la repousser.

— L’essai est gratuit. La prochaine fois que tu auras besoin d’aide, il faudra payer.

Vito se balança d’une jambe à l’autre. Son épaule appuyée contre l’encadrement de la porte empêchait Destiny de lui sauter à nouveau dessus.

— Quoi ? Comment ?

Voulait-il de l’argent ? C’était ridicule ! Il avait l’air de posséder dix fois plus que tout ce que j’avais en mon nom.

— On verra le moment venu.

Sa voix avait l’air amusée, mais son regard s’assombrit. La faim et l’avidité s’y reflétaient et ne laissaient pas l’ombre d’un doute sur la nature du paiement. Non, il ne s’agissait pas d’argent. Absolument pas. Je déglutis difficilement. Mon cœur, qui venait à peine de se calmer, s’emballa de plus belle. Vito vit l’horreur sur mon visage quand je compris qu’il parlait de sexe et sourit.

— Pense à ne pas faire de bêtises, Blondie ! me conseilla-t-il encore avant de se concentrer sur Druella et Daisy qui étaient toujours assises sur le lit.

Elles se tenaient nerveusement les mains comme si elles s’empêchaient mutuellement de se lever pour pousser des cris de joie pour Vito et Destiny.

— Bonne nuit, mesdames !

Un dernier signe de tête à l’intention de Destiny et il voulut partir. Il se redressa et se tourna quand Destiny l’attrapa par le coude.

— Vito ! Attends ! Pourquoi tu la défends ? Elle est si…

Destiny s’interrompit comme pour chercher le mot adéquat. J’étais sûre qu’elle savait parfaitement ce qu’elle voulait dire. Elle voulait me blesser et elle y parvenait à merveille.

— … indigne de Blackbury.

Je serrai les dents pour ne pas crier. Indigne ? Indigne ! Elle était sérieuse ? Comment être digne de cette école ? En ayant un caractère de merde ou en étant un lèche-bottes ? Il semblerait que ce soit ça, les conditions pour en être digne. Voilà pourquoi la réponse de Vito ne me surprit pas. Ce qui ne signifiait pas qu’elle ne me blessât pas.

— J’en ai rien à foutre d’elle, mais je ne veux pas risquer que tu sois collée si elle te balance. Qui me chaufferait les cuisses après l’entrainement ?

Vito rit, fit un clin d’œil à Destiny en guise d’adieu et partit. Comme ça, sans me prêter aucune attention. Comme s’il ne m’avait pas touchée entre les jambes quelques minutes auparavant, me touchant comme jamais personne avant lui.

Destiny ferma enfin la porte alors qu’il était hors de vue depuis un moment déjà. La porte se referma sèchement et elle me fixa, furieuse. Une veine pulsait sur son front et son visage devint rouge.

— Tiens-toi loin de Vito ! siffla-t-elle, ouvrant la bouche pour ajouter quelque chose.

Mais je n’en eus cure. Cela suffisait pour aujourd’hui. Je pris mes affaires et me précipitai vers la salle de bain.

— Avec plaisir, et de vous aussi, marmonnai-je en expirant, soulagée, quand je pus enfin refermer la porte derrière moi.

C’était malheureusement facile à dire. Je réussis à éviter Vito toute la semaine suivante, mais cela ne semblait pas suffire à Destiny. Elle profitait de chaque occasion pour me pourrir la vie et comme nous partagions la même chambre, elles étaient nombreuses. Elle coupa mon réveil pour me faire arriver en retard au petit-déjeuner et à l’entretien avec madame McQueen. Je me servis ensuite de mon portable pour me réveiller et le posais sous mon oreiller. Ce fut utile le deuxième jour, mais au troisième, Destiny cacha mon emploi du temps et le plan de l’établissement, ce qui me fit arriver à nouveau en retard. Je fis des photos de l’emploi du temps et du plan pour pouvoir les consulter sur mon téléphone, mais elle le remarqua également et décida de cacher mes notes de cours dans les endroits les plus incongrus : les toilettes, la baignoire, le couloir, une autre chambre de l’étage…

Au bout de sept jours, j’étais devenue tellement paranoïaque que je dormais à peine, planquais mes affaires sous mon lit et ne parlais plus à personne de peur qu’il soit envoyé par Destiny. Le fiasco de la camarade qui m’avait vue errer dans les couloirs, et m’avait aidée à retrouver mon chemin pour me mener droit dans les vestiaires des hommes, m’avait suffi. Le plan de me faire toute petite et de ne pas me faire remarquer échoua cependant, car pile quand Destiny semblait perdre tout intérêt pour moi, Vito entra dans la danse.